Dans une page appartenant à un journal du XIXe siècle, dont le titre n’est malheureusement pas indiqué, mais qui parait avoir été édité dans l’Est de la France ou au Luxembourg, on peut lire l’article suivant, publié dans la rubrique nouvelles diverses :
« Sombre histoire. - Il se fait un grand mouvement d'éloignement autour d'un hôtel des Champs Elysées. M. X….. provincial enrichi, de manières assez communes, mais immensément riche, a fait bâtir un hôtel dans le faubourg St-Honoré ; l'année dernière, il a reçu la plus haute société de Paris, qui n’est pas toujours assez prudente dans ses adoptions.
Cette année encore, M. X….. a donné un bal merveilleux ; il devait en donner un second la semaine dernière ; les invitations étaient lancées. A 9 heures, les salons de M X….. étaient illuminés brillamment ; un buffet splendide dressait jusqu'au plafond une pyramide de pâtés de foie gras, de faisans truffés, de raisins et d'ananas; 1'orchestre accordait ses instruments… et personne ne venait.... A 2 heures du matin, personne n’était venu.
A trois heures du matin, un laquais à grande livrée arriva de la part de son maître et remit à l'amphitryon solitaire une enveloppe encadrée de noir. M. X.... l’ouvrit et n'y lut que ces mots : « Souvenez vous du 18 octobre 1838 »
A peine eut-il lu, M. X….. tomba à la renverse, frappé d'une fausse attaque d'apoplexie; les secours les plus prompts l’on rappelé à la vie. Aujourd'hui, il met son hôtel en vente, et il s'apprête à partir pour l’Amérique, avec sa femme et ses enfants, qui ne comprennent rien. Quel est donc ce mystère ? comme dit Georges Brown.
Le voici :
Le 18 octobre 1838, on guillotinait une femme à Thionville. Cette femme se nommait Marguerite Roeder; elle était condamnée à mort pour infanticide.
Tous les préparatifs étaient faits; la sanglante machine était dressée, l'exécuteur était arrivé, mais il lui manquait un aide. L'exécuteur de St-Mihiel (1), averti de se trouver à Thionville au jour fixé, n'avait pu venir. Le bourreau de Metz (2), se trouvant seul, alla déclarer au procureur du roi qu'il lui était impossible d'exécuter Marguerite Roeder. Que faire ? On allait ajourner l'exécution, lorsqu'un jeune homme de vingt huit ans vint se présenter au parquet.
— Monsieur, dit-il au magistrat avec beaucoup de politesse, j’apprends que l'on ne peut procéder à l'exécution, à cause de l'absence de l'exécuteur de St-Mihiel, je viens vous offrir mes services. Je me ferai un vrai plaisir de tirer la justice d'embarras et d'assister monsieur.
Le magistrat regarda l'homme qui lui faisait une telle proposition avec une surprise mêlée de dégoût; cependant il accepta ses offres de service, et l'exécution eut lieu.
Cet homme ne tenait cependant ni de près ni de loin à la justice ni à ses exécuteurs. Il était amateur dans toute la force du terme. Fils d'un marchand de rouenneries, il continuait le commerce de son père; il avait déjà quelque fortune et suivait les exécutions pour se distraire. Il y a quatre ans, il s'est retiré du commerce, ayant des millions à lui. Il est venu à Paris, il a donné des bals, et c'est lui que nous avons vu se promener tout-à-l’heure dans ses salons illuminés et déserts.
Le magistrat de Thionville, qui occupe aujourd'hui un siège d'un rang élevé, avait été invité au premier bal que M. X..... avait donné cette année. Frappé de stupeur à la vue du bourreau amateur, il hésitait cependant à le reconnaître, mais un signe caractéristique près de l’œil gauche ne lui permit pas de douter plus longtemps.
Naturellement il raconta à plusieurs personnes l'histoire du 18 octobre 1838; cette histoire se répandit dans la société, et, dès lors, personne ne voulut plus voir l'homme du 18 octobre. Il se trouva tout-à-coup isolé au milieu de Paris. Il ne savait à quoi attribuer cet éloignement inexplicable. Le bal de la semaine dernière et la lettre qu'il a reçue lui ont ouvert les yeux. »
Cette année encore, M. X….. a donné un bal merveilleux ; il devait en donner un second la semaine dernière ; les invitations étaient lancées. A 9 heures, les salons de M X….. étaient illuminés brillamment ; un buffet splendide dressait jusqu'au plafond une pyramide de pâtés de foie gras, de faisans truffés, de raisins et d'ananas; 1'orchestre accordait ses instruments… et personne ne venait.... A 2 heures du matin, personne n’était venu.
A trois heures du matin, un laquais à grande livrée arriva de la part de son maître et remit à l'amphitryon solitaire une enveloppe encadrée de noir. M. X.... l’ouvrit et n'y lut que ces mots : « Souvenez vous du 18 octobre 1838 »
A peine eut-il lu, M. X….. tomba à la renverse, frappé d'une fausse attaque d'apoplexie; les secours les plus prompts l’on rappelé à la vie. Aujourd'hui, il met son hôtel en vente, et il s'apprête à partir pour l’Amérique, avec sa femme et ses enfants, qui ne comprennent rien. Quel est donc ce mystère ? comme dit Georges Brown.
Le voici :
Le 18 octobre 1838, on guillotinait une femme à Thionville. Cette femme se nommait Marguerite Roeder; elle était condamnée à mort pour infanticide.
Tous les préparatifs étaient faits; la sanglante machine était dressée, l'exécuteur était arrivé, mais il lui manquait un aide. L'exécuteur de St-Mihiel (1), averti de se trouver à Thionville au jour fixé, n'avait pu venir. Le bourreau de Metz (2), se trouvant seul, alla déclarer au procureur du roi qu'il lui était impossible d'exécuter Marguerite Roeder. Que faire ? On allait ajourner l'exécution, lorsqu'un jeune homme de vingt huit ans vint se présenter au parquet.
— Monsieur, dit-il au magistrat avec beaucoup de politesse, j’apprends que l'on ne peut procéder à l'exécution, à cause de l'absence de l'exécuteur de St-Mihiel, je viens vous offrir mes services. Je me ferai un vrai plaisir de tirer la justice d'embarras et d'assister monsieur.
Le magistrat regarda l'homme qui lui faisait une telle proposition avec une surprise mêlée de dégoût; cependant il accepta ses offres de service, et l'exécution eut lieu.
Cet homme ne tenait cependant ni de près ni de loin à la justice ni à ses exécuteurs. Il était amateur dans toute la force du terme. Fils d'un marchand de rouenneries, il continuait le commerce de son père; il avait déjà quelque fortune et suivait les exécutions pour se distraire. Il y a quatre ans, il s'est retiré du commerce, ayant des millions à lui. Il est venu à Paris, il a donné des bals, et c'est lui que nous avons vu se promener tout-à-l’heure dans ses salons illuminés et déserts.
Le magistrat de Thionville, qui occupe aujourd'hui un siège d'un rang élevé, avait été invité au premier bal que M. X..... avait donné cette année. Frappé de stupeur à la vue du bourreau amateur, il hésitait cependant à le reconnaître, mais un signe caractéristique près de l’œil gauche ne lui permit pas de douter plus longtemps.
Naturellement il raconta à plusieurs personnes l'histoire du 18 octobre 1838; cette histoire se répandit dans la société, et, dès lors, personne ne voulut plus voir l'homme du 18 octobre. Il se trouva tout-à-coup isolé au milieu de Paris. Il ne savait à quoi attribuer cet éloignement inexplicable. Le bal de la semaine dernière et la lettre qu'il a reçue lui ont ouvert les yeux. »
L’histoire est-elle authentique ? A première vue on pourrait en douter tellement tous ses éléments paraissent relever du genre de feuilleton qu’on aimait au XIXe siècle. Comme ses principaux protagonistes ne sont pas nommés, il est difficile d’attester de leur existence. Une seule certitude, Marguerite Roeder a bien été guillotinée à Thionville le 18 octobre 1838. Le dossier de cette affaire est conservé dans la série des recours en grâce, aux Archives Nationales (3). Que dit-il ? Que la dénommée Marguerite Roeder, née à Beggen, près de Luxembourg, domestique âgée de 35 ans, a été condamnée à la peine de mort le 24 août 1838 par la cour d’assises de la Moselle pour « crime d’infanticide et de suppression d’enfant.» C’est l’histoire presque banale d’une triste destinée, inhérente à la misère sociale qui régnait dans les villes et les campagnes au début du XIXe siècle. Marguerite Roeder était entrée, vers 1828, au service d’Antoine Groff, voiturier à Thionville, veuf et père de quatre enfants. Elle eut quatre grossesses, successivement en 1829, 1832, 1834 et 1836. Sans que personne, à l’époque, ne s’inquiète de leur terme. Au début de 1838, ses voisins remarquèrent qu’elle était à nouveau enceinte. Elle accoucha dans la nuit du 15 mai. Le lendemain, on releva des traces de sang dans l’escalier de sa maison et dans les latrines communes. Intrigué par son attitude, un locataire la dénonça à la police. Arrêtée le soir même, alors qu’elle s’apprêtait à quitter Thionville, elle nia d’abord avoir été enceinte. Un médecin l’examina. Elle reconnu alors avoir fait une fausse couche. Les enquêteurs firent vider les latrines de la maison. On y trouva de la sabine, plante réputée pour provoquer les avortements, mais aussi, détail horrible, les ossements de quatre enfants différents (trois nés à terme et un fœtus), des linges tachés de sang et le cadavre d’un nouveau né de sexe féminin. Marguerite Roeder affirma qu’il était déjà mort à la naissance. Un médecin déclara, au contraire, qu’il avait probablement été asphyxié. La justice ne lui accorda aucune circonstance atténuante et le roi Louis-Philippe lui refusa sa grâce. Le dossier ne contient aucune pièce relative à son exécution. Une simple mention : « La peine a été subie le 18 octobre 1838 ».
(1) Simon-Hippolyte Desmorest, exécuteur de la Meuse de 1823 à 1849.
(2) Pierre-Emmanuel Desfourneaux, exécuteur à Metz de 1833 à 1870.
(3) Archives Nationales, BB/24/2009/1