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2 juillet 2009

Charles-Alexandre Ganié

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Simple exécuteur-adjoint, Charles-Alexandre Ganié compte trente-trois ans de services. Même s’il n’a pas effectué une carrière exceptionnelle, il a laissé assez de traces dans les archives pour qu’il nous soit possible d’en effectuer une biographie assez précise.
Charles-Alexandre Ganié est né le 25 mai 1825 à Nantes, de Jacques-Auguste Ganié, bourreau de cette ville de 1823 à 1845, et de Augustine-Adelaïde Ferey.
Après avoir débuté une carrière d’horloger, il se fit engager comme aide exécuteur, à l’âge de trente ans. Il fut d’abord nommé à Grenoble, le 1er juin 1855, puis à Agen, en 1857, où il exerça jusqu’en 1870. Le 24 juillet 1871, Le ministère de la justice ratifia sa nomination au poste d’adjoint de seconde classe auprès de l’exécuteur national. Promu à la première classe le 5 avril 1872, il servit successivement Jean-François Heidenreich, Nicolas Roch et Louis Deibler, avant de donner sa démission le 1er octobre 1888. Il n’avait alors que soixante-trois ans mais était atteint d’une légère paralysie au bras et à la jambe gauche.

Jean-François Bladé, dans sa remarquable enquête sur les bourreaux d’Agen (1), a rassemblé des témoignages de contemporains de Charles-Alexandre Ganié qui permettent d’en tracer un portrait savoureux :
"C'est un homme qui a reçu de l'éducation, et qui même ne manque pas d'un certain vernis. Son père, exécuteur-chef à Nantes, lui fit apprendre, à Genève, le métier d'horloger. Plus tard, Ganié tenta sans succès de devenir patron. Alors le désespoir le prit, et il sollicita une place d'exécuteur-adjoint. Les concurrents étaient nombreux et bien appuyés ; mais l'horloger avait des protecteurs puissants, magistrats, députés et sénateurs. Ganié l'emporta de haute lutte, et fut envoyé à Grenoble, aux appointements de cent francs par mois, en attendant de permuter avec Vermeille. A Agen, il alla se loger d'abord sur le cours Trénac, et ensuite dans la rue de la Gendarmerie. C'était un homme jeune encore, fort maigre, chauve et blond, très bien mis et l'air distingué. Il avait une jeune femme assez gentille, fine comme l'ambre, et qui parlait le français à ravir. Elle s'était fait accepter par les petites gens de son quartier, qui causaient avec elle, et l'appelaient " Madame Ganié " gros comme le bras. Leur petit garçon souffrait souvent des yeux, et son père le menait promener sur le Gravier.
Ganié travaillait, comme horloger, pour les patrons de la ville, et même pour quelques bourgeois qui lui donnaient à réparer leurs montres et leurs pendules. Ces réparations étaient toujours fort bien faites, et coûtaient assez bon marché. Parmi ses clients (comme horloger bien entendu), Ganié comptait un artiste peintre dont la pendule se dérangea. L'aide vint la chercher à l'atelier, et tomba en extase devant les esquisses et les tableaux. Le peintre le regardait faire. — Ah ! Monsieur, j'aime les arts plus que tout au monde, et je ne perds pas une occasion de me donner contentement. — Quelques jours après, l'aide rapporta la pendule parfaitement arrangée, et se campa de nouveau devant les toiles, les yeux écarquillés et la bouche ouverte, en signe d'admiration.
Ganié ne vivait pas fort bien avec son chef, qu'il aspirait à remplacer, et qui avait, entre autres torts, celui de manquer de tenue. L'exécuteur-aide aimait à causer, et quand il se heurtait à des répugnances, il s'en étonnait de l'air le plus naturel. « – Les condamnés, disait-il, sont des êtres méprisables, et la société devrait être reconnaissante à ceux qui l'en débarrassent. »
Et il l'en débarrassait. Ganié allait souvent aider ses confrères en dehors du ressort de la cour d'Agen. Je sais qu'il a fait au moins deux fois le voyage de Bordeaux. (2) Il contribua également à guillotiner, à Foix, le fameux Jacques Latour, (3) un de ceux qui assassinèrent Monsieur Bugad de Lasalle, dans son château de Labastide de Besplas. Quand le condamné vit arriver les exécuteurs, il les agonisa d'injures pendant la toilette. L'averse s'abattit particulièrement sur Ganié « – Ah ! c'est toi qui es le bourreau. » — Ganié fit une réponse superbe, qui parut dans les journaux : « Je ne suis pas le bourreau. Je suis le mandataire de Monsieur Bugad de Lasalle. » Jacques Latour baissa la tête. Ça lui avait coupé le sifflet.
Quand on supprima tous les exécuteurs de province, Ganié, toujours patronné par de hauts personnages; et recommandé d'ailleurs par ses mérites professionnels comme par sa bonne tenue, fut compris parmi les aides de Monsieur Roch, qui maintenant est le seul exécuteur-chef pour toute la France.
Depuis son avancement, Ganié est revenu passer deux ou trois jours à Agen, et cela prouve qu'il a de bons sentiments. Quelque temps après la triste guerre des Prussiens, un brave maitre plâtrier est arrêté par un individu à barbe blonde. « Eh ! bonjour, Monsieur un tel. Vous ne me reconnaissez pas ? — Si fait. — Je suis Monsieur Ganié. Ça va toujours bien ? Et la famille ? — Hou ! — Moi, ça boulotte. Nous revenons, comme ça, de faire une exécution dans le Midi. En passant à Agen, je n'ai pas pu y tenir, et j'ai voulu revoir la ville où j'ai passé de si bon temps. Monsieur Roch, qui est un excellent patron, m'a donné trois jours de permission. » — Le plâtrier ne se pressait pas de répondre, — « Allons, au plaisir de vous revoir. Je vais rue Molinier, acheter un caisson de pruneaux pour Monsieur Roch. Il veut en faire cadeau à son ami Monsieur Calcraft, l'exécuteur de Londres, qui est venu nous voir à Paris. C'est un homme tout à fait chic. »

Un autre portrait de Ganié : « Ganié était assez distingué de manières, et dans sa conversation il visait à l’esprit ; il y réussissait parfois, car il était doué d’une assez forte dose d’intelligence, et pas plus tard qu'hier (1872), dans un compartiment de première, - ligne de Lyon, - nous lui entendions faire le tableau charmant des rives de la Seine, dans un langage digne de Mme Deshoullières. Ganié était de haute taille, vêtu correctement de noir, et chaussé de vernis ; son abord était froid, mais sa politesse exquise faisait qu'on ne s'en apercevait guère. » (4)

A Agen, Ganié fut d’abord l’aide de Vincent Bornacini, avec lequel il ne parait pas s’être entendu, d’autant que l’exécuteur en chef était un habitué des cabarets et des cafés où il se distinguait par son intempérance. En 1860, ce dernier fut muté pour raisons disciplinaires à Aix et remplacé par Laurent-Désiré Desmorest. Ganié, peut-être déçu de ne pas avoir eu la place de son supérieur, offrit directement ses services au Ministère de la Justice, à qui il proposa la création d’un poste « d’inspecteur du matériel des bois de justice ». Ces nouvelles fonctions se justifiaient, selon lui, par une série d’accidents survenus lors d’exécutions. « Dans plusieurs circonstances et par suite du mauvais entretien des bois et instruments … on a dû y surseoir. Tel que cela a eu lieu à Valence, où l’on fut obligé d’ajourner l’exécution et d’envoyer chercher les bois à Grenoble ; à Dax, le glaive fonctionnait si mal dans ses jumelles que l’ablation de la tête ne se fit qu’au deux tiers, et que l’on fut obligé de remonter ce glaive jusqu’à trois fois. Même incident en Côté d’or. » Ganié fit spécialement le voyage d’Agen à Paris, au début juillet 1860, pour déposer son mémoire dans les bureaux du ministère (5). Malheureusement pour lui son idée ne fut pas retenue.

Charles-Alexandre Ganié épousa Henriette-Léonie Spirckel, issue d’une longue dynastie d’exécuteurs lorrains et luxembourgeois. Fille de Mathieu Spirckel, exécuteur à Saintes puis aide-exécuteur à Orléans, et d’Henriette Reine, elle était née à Saintes le 26 novembre 1826. Le couple n’eut qu’un fils unique, Valentin-Laurent-Joseph, né à Agen le 17 janvier 1859.

A son arrivée à Paris, en 1871, Charles-Alexandre Ganié s’était installé dans un petit appartement d’un loyer de 360 francs, situé 69 rue Legendre, dans le 17ème arrondissement. A la fin de l’année 1888, au moment de sa retraite, il déménagea dans un logement plus petit, d’un loyer annuel de 250 francs, situé 1 rue de la Fontaine du But, dans le 18ème. Son seul revenu était un secours alimentaire de 700 francs par an qui fut porté à 800 francs en 1890. En raison de ce modeste salaire, c’est son fils qui réglait son loyer. (6)
Charles-Alexandre Ganié mourut à Paris, le 12 avril 1891.

Son fils, Valentin, tourna définitivement la page de la terrible profession familiale pour devenir employé de commerce. Le 31 mai 1884, il avait pourtant épousé une descendante d’une autre grande famille d’exécuteurs : Claire-Henriette Doublot. Née à Paris le 5 octobre 1859, elle était fille de Constant-Emile Doublot, serrurier, et petite-fille de Nicolas-Placide Doublot, adjoint de l’exécuteur de Paris pendant dix-sept ans.

(1) Jean-François Bladé, Les exécuteurs criminels d’Agen, Revue de l’Agenais, Tome IV, 1877, pp. 67-69.
(2) Ganié participa à l'exécution de Jean Desbats et de Louis Bonnecarrère, guillotinés le 26 juillet 1858 puis à celle de Jeanne Constantin, veuve Viéla (le 23 octobre 1858), A chaque déplacement, il toucha quatre-vingt-quatre francs, pour frais de voyage et sept journées de séjour à Bordeaux.
(3) 11 septembre 1864.
(4) Léopold Laurens, Nicolas Roch, exécuteur des arrêts criminels du continent français, p. 25.
(5) Archives Nationales, BB/30/536.
(6) Archives de la Préfecture de Police, BA 1089.


21 mai 2009

Le bourreau de Draguignan


Un ouvrage du magistrat Eugène Mouton (1), depuis longtemps tombé dans l’oubli, consacre une page au bourreau de Draguignan (2). Elle permet de découvrir un exécuteur de province comme on pouvait encore en croiser au milieu du XIXe siècle. Nous aurons encore l’occasion de revenir sur les bourreaux de cette ville et sur sa curieuse guillotine à roulettes.

« M. Alexandre, qui n'avait accepté Draguignan qu'en attendant mieux, était en congé à Paris lorsque m'arriva une affaire d'une rare espèce : il s'agissait d'une plainte en violence et voies de fait. Le plaignant était un marchand de médailles et de chapelets, ce qui n'avait, il est vrai, rien de particulièrement saisissant, mais pour inculpé nous avions le bourreau.
En ce temps-là, chaque département avait son bourreau attitré et résidant au chef-lieu judiciaire. Celui de Draguignan, roux, trapu, grossier, était logé sur un rocher abrupt dressé au centre de la ville, surmonté d'une tour carrée avec un grand beffroi en ferronnerie de la Renaissance. II demeurait dans la tour avec sa femme et ses enfants, et la guillotine était remisée dans un hangar. Par deux rainures, on la faisait glisser jusqu'au milieu de la plate-forme, l'exécution se faisait là, après quoi on n'avait qu'à repousser la guillotine dans son hangar, comme une bête carnassière dans sa cage.
Le bourreau venait chaque trimestre me faire apostiller son mandat de traitement, et une fois qu'il avait eu à prendre un congé, il me demanda une autorisation; j'appris alors que, par un usage immémorial, les bourreaux avaient le droit, quand ils prenaient un passeport, d'y être désignés, au lieu de leur profession infamante, par la qualification d'écuyer. A force de l'avoir porté pendant des siècles, ce privilège qu'on leur avait conféré à la fois pour les absoudre de leurs sanglantes fonctions et les consoler de leur sort misérable, ils en étaient venus à s'en targuer comme d'une noblesse, et le nom de bourreau, que le code pénal lui-même avait rayé depuis longtemps, était pour eux une injure sanglante, c'est le mot.
Donc notre "exécuteur des arrêts de la justice criminelle", puisque tel est le titre légal, se trouvant au marché de Draguignan, s'était pris de querelle avec un marchand de médailles et de chapelets. Celui-ci l'avait appelé bourreau, et sur ce mot, l'exécuteur avait piétiné l'étalage et bousculé le marchand, qui demandait justice.
En tout autre cas, il n'y avait pas l'ombre d'une difficulté : mais voyez-vous le bourreau on police correctionnelle ? Qu'aurait pu dire en sa faveur le plus roué des avocats ? Mais quelle circonstance atténuante ! Etre bourreau, et quand on en est réduit pour vivre à boire du sang, avoir encore à compter avec le code pénal ! C'était une horreur, et je ne doute pas que tout le monde l'aurait senti comme moi.
Je ne le poursuivis pas, je lui fis payer au marchand les dégâts qu'il avait faits, et je le grondai. Je faisais là un acte injuste, mais je n'ai jamais vu plus clairement combien il y a des sentiments qui n'ont pas de place possible dans le texte de la loi, et sans lesquels la justice ne serait qu'une machine aveugle ! "

(1) Eugène Mouton, Un demi-siècle de vie, 1848-1901, Paris Ch. Delagrave, 1901, pp.25-26. Eugène Mouton est né à Marseille le 13 avril 1823 et décédé à Paris le 8 juin 1902. Il était substitut à Draguignan en 1848 et procureur à Rodez vingt ans après. Dans cette ville, il a composé un volumineux traité sur « Les lois pénales de la France en toutes matières » (1868). Après avoir démissionné de la magistrature, il s’adonna à la littérature humoristique et fantastique.
(2) Cet épisode n’est pas daté avec précision. Vers 1848-1849, l’exécuteur de Draguignan était un membre de la famille Bornacini, Laurent ou Vincent.