« C'était en 1787, un ancien soldat nommé Rouillon, n'ayant point d'argent et voulant s'en procurer, s'introduisit dans une ferme et prit dans l'écurie les deux meilleurs chevaux. Il les fit passer par une brèche du mur placée à quatre pieds au-dessus du sol, ce qui peut servir à donner une idée de la force de cet homme, qui avait près de six pieds. Rouillon fut condamné, pour ce fait, à être pendu jusqu’à ce que mort s'ensuive.
Le jour de l'exécution, Rouillon sortit de la prison, alors dans la rue Chartraine, assis dans une petite charrette attelée d'un seul cheval, et s'arrêta en passant dans l'église de l'Hôtel-Dieu, pour y boire le vin du condamné, qui lui fut offert par la charité, chargée en cela d'exécuter le testament de Georgette Legras, et assister à une cérémonie religieuse qui fut faite par le prieur de l'hôpital. Il pouvait être alors huit heures environ et il faisait nuit depuis plus de deux heures; la marche funèbre était éclairée par des hommes portant de grosses torches de résine. La potence avait été placée à l'intersection de la Grande-Rue et de celle de la Grosse-Horloge, à dix pieds environ au-delà du ruisseau qui traverse le Carrefour. Le bras de la potence était tourné du côté de la rue de l'Horloge et l'échelle en avant, du côté de la Grande-Rue.
Rouillon était assis sur de la paille dans la voiture, la face tournée du côté du cheval; les exécuteurs (1) le soutenaient. Lorsqu'il fut arrivé au lieu de l'exécution, on fit faire un demi-tour à la voiture, et on l'accula contre l'échelle. Le bourreau passa de la voiture sur l'échelle et, s'y retournant, saisit Rouillon par le derrière du collet de la veste et l'attira à lui, le fit ainsi monter en reculant, tandis que les aides le poussaient par en bas ; cela dura au moins deux minutes, et le public crut facilement que le patient ne s'aidait pas. Rouillon avait les mains attachées par devant et la corde qui servait à les lier était passée en sautoir par dessus le cou, ainsi qu'on vit le lendemain ; il portait en outre, autour du cou, la corde de suspension toute préparée. Lorsque le patient fut arrivé à une hauteur convenable, le bourreau accrocha l'extrémité de la corde à un fort piton solidement fixé au bras de la potence, puis, s'adressant à Rouillon, il lui dit : « Dis comme moi : Jésus Maria.... Jésus Maria.... ». Le pauvre diable avait à peine proféré d'une voix sourde le troisième Jésus Maria, que le bourreau, le poussant du genou, le jeta hors de l'échelle. Faisant aussitôt volte-face, le bourreau plaça son pied droit sur les mains de Rouillon, comme il aurait fait dans un étrier, et pesant de tout son poids sur cet appui, il s'agita violemment. Au bout d'une ou deux minutes au plus, il se reposa sur l'échelle, fit pirouetter le supplicié et, comme s'il avait cru un supplément nécessaire, il lui donna une dizaine de nouvelles secousses et descendit de l'échelle après l'avoir fait pirouetter encore.
Le lendemain, qui était un dimanche, le corps demeura suspendu aux regards des passants. Il était horrible à voir : la figure était gonflée et de couleur violacée; la langue, plus violette encore que la face, sortait de la bouche de toute sa longueur, et les sécrétions qui la couvraient, provoquaient un insurmontable dégoût.
Le soir, il fut porté au gibet de la Côte-de-la-Justice, composé de piliers de pierres de taille, liés entre eux par des pièces de bois, et y fut suspendu, le cou renfermé dans un des colliers à charnières qui étaient attachés avec des chaînes de fer à chacune des traverses » (2).
(1) Depuis 1780, le bourreau de cette ville était Nicolas-Louis Jouenne. Il était né à Évreux (paroisse Saint-Pierre) le 20 mars 1754.
(2) Nicolas Rogue, Souvenirs et journal d’un bourgeois d’Evreux (1740-1830), Evreux, A. Hérissey, 1850, pp 79-80.
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