En 1831, sous la monarchie de juillet, il n’y eut aucune exécution capitale à Paris. En octobre, mettant à profit ce répit, Félix Barthe, ministre de la justice depuis huit mois, demanda à sa Direction des affaires criminelles et des grâces une note sur l’aspect juridique du choix du lieu des exécutions capitales. Dans un but précis, apparemment, celui de substituer à la place de Grève un autre endroit patibulaire. Haut lieu de l’exercice de la justice criminelle depuis plus de cinq-cent-vingt ans – puisque qu’on y mentionne déjà une exécution en 1310 – cet espace situé au coeur de la capitale occupait une position à la fois symbolique et stratégique dans l’histoire de Paris. La guillotine y avait été dressée pour la dernière fois le 22 juillet 1830, jour où fut décapité Jean-Pierre Martin, condamné à mort pour vol et assassinat commis au bois de Boulogne (1). Pour l'heure, c'était plutôt le souvenir de la journée du 28 juillet 1830, au cours des « Trois Glorieuses », qui hantait tous les esprits. Ce jour là, la place de Grève avait été le théâtre de violents combats lors de la prise de l'hôtel de ville.
Le garde des sceaux se fit confirmer par ses services que la désignation de la place, parmi toutes celles qui existent dans la ville où doit se faire une exécution, relevait exclusivement du domaine de l’autorité. Et puisque c’était la capitale qui préoccupait le ministre, il était précisé : « Ainsi, à Paris, par exemple, il suffirait d’un arrêté pris par le préfet après s’être concerté avec le procureur général pour déterminer que les exécutions au lieu d’être faites sur la place de Grève, se feraient sur telle autre place publique de la ville » (2).
Sans perdre de temps, le 20 octobre 1831, Félix Barthe confia à Jean-Charles Persil, procureur général de Paris, mission de trouver un autre emplacement que la place de Grève pour y dresser la guillotine : « Des doutes se sont élevés dans mon esprit relativement au plus ou moins de convenance qu’il y aurait à continuer de faire exécuter sur la place de Grève les condamnations capitales prononcées par la cour d’assises de la Seine. D’une part, ce lieu me parait trop resserré pour que la force publique appelée à protéger les exécutions puisse s’y mouvoir et s’y déployer avec facilité. D’autre part, comme cette place a été l’un des principaux théâtres de la révolution de juillet, j’ai pensé qu’elle avait acquis une sorte de consécration nouvelle et que désormais on verrait avec peine le sang des criminels s’y mêler à celui des citoyens morts pour la défense des lois et de la liberté ». Le ministre avait déjà une idée de l’endroit où les exécutions pourraient migrer car il suggère dans sa lettre « les vastes emplacements qui se trouvent derrière l’hôtel des invalides et au devant de l’entrée principale de l’école militaire ». Quoi qu’il en soit, le procureur était prié de « faire connaître très promptement le résultat de [ses] soins à cet égard » (3).
En même temps, le comte Antoine d’Argout, ministre du commerce, était lui aussi sollicité pour donner son avis sur cette question.
Dix jours plus tard, une première réponse parvenait au ministère de la justice. Elle était signée par Pierre-Marie Taillepied, comte de Bondy, préfet de la Seine. Après une étude approfondie, le procureur général et lui-même étaient tombés d’accord « qu’on ne pouvait choisir qu’entre deux emplacements ; l’un situé à la barrière du Trône, l’autre connu sous le nom de place Vauban, derrière les invalides. Pour le premier de ces emplacements le condamné pourrait être amené directement de Bicêtre par les boulevards extérieurs en traversant le pont d’Austerlitz mais la barrière du trône rappellerait des tems malheureux et se trouverait trop à proximité de toute la population du faubourg Saint Antoine. La place Vauban ne présente pas les mêmes inconvénients, elle est située dans un quartier beaucoup moins habité, le condamné serait conduit par les boulevards des Gobelins, Saint-Jacques, d’enfer et du Mont Parnasse. Ces boulevards sont peu fréquentés et aucun embarras ne ralentirait la rapidité de la marche. D’ailleurs la place Vauban est vaste, il serait facile de garder les avenues qui y aboutissent et d’y déployer les forces nécessaires » (4). Le préfet ajoutait que si ce dernier emplacement, éloigné du centre ville, était choisi pour y faire les exécutions « la classe qui s’y porte ordinairement en perdrait l’habitude et que par ce seul moyen on obtiendrait une amélioration sensible dans les mœurs » (5).
Le 11 novembre, le garde des sceaux fit savoir au préfet de la Seine et au procureur général qu’il approuvait leur préférence : « ce lieu me paraît, comme à vous, convenable sous tous les rapports et je vous engage en conséquence à prendre sans retard un arrêté portant que les exécutions capitales s’y feront à l’avenir » (6).
Quelques jours après, le 16 novembre, l’arrêté était ratifié (7). En même temps, le parquet avait pris les premières dispositions en vue des prochaines exécutions. On avait déjà loué une maison, à proximité de la place Vauban, pour y loger le greffier chargé de dresser les procès verbaux. L’itinéraire qu’aurait à suivre le condamné était également arrêté : Celui-ci « en partant de Bicêtre dans la voiture couverte dont on se sert pour le transfèrement des prisonniers, suivrait la grande route jusqu’à la barrière de Fontainebleau : on entrerait ensuite dans Paris et on prendrait les boulevards à gauche jusqu’à la pompe des invalides et en tournant aussi à gauche on arriverait à la place Vauban ». Enfin, le procureur général avait pris l'initiative de modifier l’heure de ces tristes cérémonies : « Jusqu’à présent les exécutions ont eu lieu à 4 heures après midi. Il m’a paru que c’était trop tard, en hiver surtout, et s’agissant aujourd’hui de parcourir, pour y amener le malheureux condamné, un espace beaucoup plus considérable, il pourrait subvenir tel événement qui retarderait l’arrivée et dans ce cas l’exécution aurait lieu la nuit, ce qui pourrait occasionner de grands désordres. Je me propose donc d’ordonner ces exécutions pour midi » (8).
Mais le 22 décembre, alors que le choix de la place Vauban paraissait faire l’unanimité, le maréchal Soult, duc de Dalmatie et ministre de la guerre, informa son collègue de la justice de ses réserves : « J’avais donné mon adhésion au projet d’affecter aux exécutions judiciaires la place dite Vauban située derrière l’hôtel des invalides mais il m’a été présenté que cette disposition aurait quelques inconvénients majeurs qui devaient faire renoncer à cet emplacement et en choisir un autre. En effet, quelques uns des bâtiments accessoires de l’hôtel des invalides ont sur la place Vauban des vues soit directes, soit obliques, plus ou moins rapprochées. Plusieurs fenêtres de la face du derrière de l’hôtel voient même aussi ladite place. Enfin, c’est par cette place que les occasions solennelles le Roi arrive et fait son entrée au dôme des Invalides. Un autre emplacement m’a été signalé comme ne pouvant avoir aucun inconvénient semblable et comme présentant encore mieux cet état d’isolement et de peu de fréquentation que l’on parait avoir en vue : c’est le rond point dit place de Breteuil auprès des abattoirs de Grenelle » (9). La guillotine installée aux abattoirs de Grenelle ! Cette perspective, même à l’époque, a dû jeter un froid.
Loin de se laisser arrêter par cette déconvenue, le 2 janvier 1832, le garde des sceaux se tourna à nouveau vers le procureur général et le préfet de la Seine afin que ceux-ci se mettent en quête d’un autre lieu. Cinq jours après, le comte de Bondy annonçait avoir trouvé l’endroit idéal : la place de la barrière d’Italie « l’emplacement est vaste, peu fréquenté et très près de la prison dans laquelle sont détenus les condamnés, ce qui est plus conforme à tous les sentiments d’humanité » (10). Et sans plus attendre, le même jour, 7 janvier, le préfet prenait un arrêté indiquant que « les condamnations portant peine capitale seront à l’avenir exécutée sur l’emplacement qui avoisine la barrière d’Italie » (11). C’était aller bien vite en besogne car, presque aussitôt, on réalisa que cette place présentait de multiples inconvénients.
Sans qu’on sache vraiment qui en inspira la désignation, ce fut finalement la barrière Saint Jacques, située aujourd’hui au carrefour que forment la rue du faubourg Saint-Jacques et le boulevard du même nom, qui fut définitivement choisie comme lieu des exécutions. Le 20 janvier 1832, le préfet de la Seine signa un nouvel arrêté – le troisième en moins de trois mois sur le même sujet – officialisant enfin cette décision :
« Considérant que la place de Grève ne peut plus servir de lieu d’exécution depuis que de généreux citoyens y ont glorieusement versé leur sang pour la cause nationale ; Considérant qu’il importe de désigner de préférence des lieux éloignés du centre de Paris et qui aient des abords faciles ; Considérant en outre que, par des raisons d’humanité, ces lieux doivent être choisis le plus près de la prison où sont détenus les condamnés ; Considérant que sous ces différents rapports la place située à l’extrémité de la rue du faubourg Saint Jacques a été désignée de préférence à toute autre, les condamnations seront à l’avenir exécutées à cet emplacement » (12).
La barrière Saint Jacques fut utilisée pour l’exécution des condamnés parisiens pendant près de vingt ans. La guillotine y fonctionna pour la première fois le 3 février 1832, à 8h30. Le supplicié, nommé Marie-Philippe Desandrieux, âgé de soixante-huit ans, avait assassiné avec deux complices un vieillard et sa fille pour les voler. Dans la préface de l’édition de 1832, de son roman Le dernier jour d'un condamné (13), Victor Hugo relate à sa façon cette première exécution à la barrière Saint-Jacques : « À Paris, nous revenons au temps des exécutions secrètes. Comme on n'ose plus décapiter en Grève depuis juillet, comme on a peur, comme on est lâche, voici ce qu'on fait. On a pris dernièrement à Bicêtre un homme, un condamné à mort, un nommé Désandrieux, je crois ; on l'a mis dans une espèce de panier traîné sur deux roues, clos de toutes parts, cadenassé et verrouillé ; puis, un gendarme en tête, un gendarme en queue, à petit bruit et sans foule, on a été déposer le paquet à la barrière déserte de Saint-Jacques. Arrivés là, il était huit heures du matin, à peine jour, il y avait une guillotine toute fraîche dressée et pour public quelque douzaine de petits garçons groupés sur les tas de pierres voisins autour de la machine inattendue; vite, on a tiré l'homme du panier, et, sans lui donner le temps de respirer, furtivement, sournoisement, honteusement, on lui a escamoté sa tête. Cela s'appelle un acte public et solennel de haute justice. Infâme dérision ! » (14).
J.-J. J.
(1) Jacques Delarue, Le métier de bourreau, Paris, Fayard, 1979, p. 271.
(2) Archives Nationales, BB/18/1323, pièce 552.
(3) Idem, pièce 553.
(4) Idem, pièce 555.
(5) Ibidem.
(6) Idem, pièces 558 et 559.
(7) Idem, pièces 561 et 564.
(8) Idem, pièce 565.
(9) Idem, pièce 569.
(10) Idem, pièce 571.
(11) Idem, pièce 572.
(12) Idem, pièce 575.
(13) Cette préface est datée du 15 mars 1832.
(14) Victor Hugo, Le dernier jour d'un condamné, Paris, E. Rendul, 1832, pp. xx-xxi.
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intéressant mais un peu long
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