10 avril 2010

La guillotine quitte la place de Grève


En 1831, sous la monarchie de juillet, il n’y eut aucune exécution capitale à Paris. En octobre, mettant à profit ce répit, Félix Barthe, ministre de la justice depuis huit mois, demanda à sa Direction des affaires criminelles et des grâces une note sur l’aspect juridique du choix du lieu des exécutions capitales. Dans un but précis, apparemment, celui de substituer à la place de Grève un autre endroit patibulaire. Haut lieu de l’exercice de la justice criminelle depuis plus de cinq-cent-vingt ans – puisque qu’on y mentionne déjà une exécution en 1310 – cet espace situé au coeur de la capitale occupait une position à la fois symbolique et stratégique dans l’histoire de Paris. La guillotine y avait été dressée pour la dernière fois le 22 juillet 1830, jour où fut décapité Jean-Pierre Martin, condamné à mort pour vol et assassinat commis au bois de Boulogne (1). Pour l'heure, c'était plutôt le souvenir de la journée du 28 juillet 1830, au cours des « Trois Glorieuses », qui hantait tous les esprits. Ce jour là, la place de Grève avait été le théâtre de violents combats lors de la prise de l'hôtel de ville.
Le garde des sceaux se fit confirmer par ses services que la désignation de la place, parmi toutes celles qui existent dans la ville où doit se faire une exécution, relevait exclusivement du domaine de l’autorité. Et puisque c’était la capitale qui préoccupait le ministre, il était précisé : « Ainsi, à Paris, par exemple, il suffirait d’un arrêté pris par le préfet après s’être concerté avec le procureur général pour déterminer que les exécutions au lieu d’être faites sur la place de Grève, se feraient sur telle autre place publique de la ville » (2).

Sans perdre de temps, le 20 octobre 1831, Félix Barthe confia à Jean-Charles Persil, procureur général de Paris, mission de trouver un autre emplacement que la place de Grève pour y dresser la guillotine : « Des doutes se sont élevés dans mon esprit relativement au plus ou moins de convenance qu’il y aurait à continuer de faire exécuter sur la place de Grève les condamnations capitales prononcées par la cour d’assises de la Seine. D’une part, ce lieu me parait trop resserré pour que la force publique appelée à protéger les exécutions puisse s’y mouvoir et s’y déployer avec facilité. D’autre part, comme cette place a été l’un des principaux théâtres de la révolution de juillet, j’ai pensé qu’elle avait acquis une sorte de consécration nouvelle et que désormais on verrait avec peine le sang des criminels s’y mêler à celui des citoyens morts pour la défense des lois et de la liberté ». Le ministre avait déjà une idée de l’endroit où les exécutions pourraient migrer car il suggère dans sa lettre « les vastes emplacements qui se trouvent derrière l’hôtel des invalides et au devant de l’entrée principale de l’école militaire ». Quoi qu’il en soit, le procureur était prié de « faire connaître très promptement le résultat de [ses] soins à cet égard » (3).
En même temps, le comte Antoine d’Argout, ministre du commerce, était lui aussi sollicité pour donner son avis sur cette question.

Dix jours plus tard, une première réponse parvenait au ministère de la justice. Elle était signée par Pierre-Marie Taillepied, comte de Bondy, préfet de la Seine. Après une étude approfondie, le procureur général et lui-même étaient tombés d’accord « qu’on ne pouvait choisir qu’entre deux emplacements ; l’un situé à la barrière du Trône, l’autre connu sous le nom de place Vauban, derrière les invalides. Pour le premier de ces emplacements le condamné pourrait être amené directement de Bicêtre par les boulevards extérieurs en traversant le pont d’Austerlitz mais la barrière du trône rappellerait des tems malheureux et se trouverait trop à proximité de toute la population du faubourg Saint Antoine. La place Vauban ne présente pas les mêmes inconvénients, elle est située dans un quartier beaucoup moins habité, le condamné serait conduit par les boulevards des Gobelins, Saint-Jacques, d’enfer et du Mont Parnasse. Ces boulevards sont peu fréquentés et aucun embarras ne ralentirait la rapidité de la marche. D’ailleurs la place Vauban est vaste, il serait facile de garder les avenues qui y aboutissent et d’y déployer les forces nécessaires » (4). Le préfet ajoutait que si ce dernier emplacement, éloigné du centre ville, était choisi pour y faire les exécutions « la classe qui s’y porte ordinairement en perdrait l’habitude et que par ce seul moyen on obtiendrait une amélioration sensible dans les mœurs » (5).

Le 11 novembre, le garde des sceaux fit savoir au préfet de la Seine et au procureur général qu’il approuvait leur préférence : « ce lieu me paraît, comme à vous, convenable sous tous les rapports et je vous engage en conséquence à prendre sans retard un arrêté portant que les exécutions capitales s’y feront à l’avenir » (6).

Quelques jours après, le 16 novembre, l’arrêté était ratifié (7). En même temps, le parquet avait pris les premières dispositions en vue des prochaines exécutions. On avait déjà loué une maison, à proximité de la place Vauban, pour y loger le greffier chargé de dresser les procès verbaux. L’itinéraire qu’aurait à suivre le condamné était également arrêté : Celui-ci « en partant de Bicêtre dans la voiture couverte dont on se sert pour le transfèrement des prisonniers, suivrait la grande route jusqu’à la barrière de Fontainebleau : on entrerait ensuite dans Paris et on prendrait les boulevards à gauche jusqu’à la pompe des invalides et en tournant aussi à gauche on arriverait à la place Vauban ». Enfin, le procureur général avait pris l'initiative de modifier l’heure de ces tristes cérémonies : « Jusqu’à présent les exécutions ont eu lieu à 4 heures après midi. Il m’a paru que c’était trop tard, en hiver surtout, et s’agissant aujourd’hui de parcourir, pour y amener le malheureux condamné, un espace beaucoup plus considérable, il pourrait subvenir tel événement qui retarderait l’arrivée et dans ce cas l’exécution aurait lieu la nuit, ce qui pourrait occasionner de grands désordres. Je me propose donc d’ordonner ces exécutions pour midi » (8).

Mais le 22 décembre, alors que le choix de la place Vauban paraissait faire l’unanimité, le maréchal Soult, duc de Dalmatie et ministre de la guerre, informa son collègue de la justice de ses réserves : « J’avais donné mon adhésion au projet d’affecter aux exécutions judiciaires la place dite Vauban située derrière l’hôtel des invalides mais il m’a été présenté que cette disposition aurait quelques inconvénients majeurs qui devaient faire renoncer à cet emplacement et en choisir un autre. En effet, quelques uns des bâtiments accessoires de l’hôtel des invalides ont sur la place Vauban des vues soit directes, soit obliques, plus ou moins rapprochées. Plusieurs fenêtres de la face du derrière de l’hôtel voient même aussi ladite place. Enfin, c’est par cette place que les occasions solennelles le Roi arrive et fait son entrée au dôme des Invalides. Un autre emplacement m’a été signalé comme ne pouvant avoir aucun inconvénient semblable et comme présentant encore mieux cet état d’isolement et de peu de fréquentation que l’on parait avoir en vue : c’est le rond point dit place de Breteuil auprès des abattoirs de Grenelle » (9). La guillotine installée aux abattoirs de Grenelle ! Cette perspective, même à l’époque, a dû jeter un froid.

Loin de se laisser arrêter par cette déconvenue, le 2 janvier 1832, le garde des sceaux se tourna à nouveau vers le procureur général et le préfet de la Seine afin que ceux-ci se mettent en quête d’un autre lieu. Cinq jours après, le comte de Bondy annonçait avoir trouvé l’endroit idéal : la place de la barrière d’Italie « l’emplacement est vaste, peu fréquenté et très près de la prison dans laquelle sont détenus les condamnés, ce qui est plus conforme à tous les sentiments d’humanité » (10). Et sans plus attendre, le même jour, 7 janvier, le préfet prenait un arrêté indiquant que « les condamnations portant peine capitale seront à l’avenir exécutée sur l’emplacement qui avoisine la barrière d’Italie » (11). C’était aller bien vite en besogne car, presque aussitôt, on réalisa que cette place présentait de multiples inconvénients.

Sans qu’on sache vraiment qui en inspira la désignation, ce fut finalement la barrière Saint Jacques, située aujourd’hui au carrefour que forment la rue du faubourg Saint-Jacques et le boulevard du même nom, qui fut définitivement choisie comme lieu des exécutions. Le 20 janvier 1832, le préfet de la Seine signa un nouvel arrêté – le troisième en moins de trois mois sur le même sujet – officialisant enfin cette décision :
« Considérant que la place de Grève ne peut plus servir de lieu d’exécution depuis que de généreux citoyens y ont glorieusement versé leur sang pour la cause nationale ; Considérant qu’il importe de désigner de préférence des lieux éloignés du centre de Paris et qui aient des abords faciles ; Considérant en outre que, par des raisons d’humanité, ces lieux doivent être choisis le plus près de la prison où sont détenus les condamnés ; Considérant que sous ces différents rapports la place située à l’extrémité de la rue du faubourg Saint Jacques a été désignée de préférence à toute autre, les condamnations seront à l’avenir exécutées à cet emplacement » (12).

La barrière Saint Jacques fut utilisée pour l’exécution des condamnés parisiens pendant près de vingt ans. La guillotine y fonctionna pour la première fois le 3 février 1832, à 8h30. Le supplicié, nommé Marie-Philippe Desandrieux, âgé de soixante-huit ans, avait assassiné avec deux complices un vieillard et sa fille pour les voler. Dans la préface de l’édition de 1832, de son roman Le dernier jour d'un condamné (13), Victor Hugo relate à sa façon cette première exécution à la barrière Saint-Jacques : « À Paris, nous revenons au temps des exécutions secrètes. Comme on n'ose plus décapiter en Grève depuis juillet, comme on a peur, comme on est lâche, voici ce qu'on fait. On a pris dernièrement à Bicêtre un homme, un condamné à mort, un nommé Désandrieux, je crois ; on l'a mis dans une espèce de panier traîné sur deux roues, clos de toutes parts, cadenassé et verrouillé ; puis, un gendarme en tête, un gendarme en queue, à petit bruit et sans foule, on a été déposer le paquet à la barrière déserte de Saint-Jacques. Arrivés là, il était huit heures du matin, à peine jour, il y avait une guillotine toute fraîche dressée et pour public quelque douzaine de petits garçons groupés sur les tas de pierres voisins autour de la machine inattendue; vite, on a tiré l'homme du panier, et, sans lui donner le temps de respirer, furtivement, sournoisement, honteusement, on lui a escamoté sa tête. Cela s'appelle un acte public et solennel de haute justice. Infâme dérision ! » (14).
J.-J. J.

(1) Jacques Delarue, Le métier de bourreau, Paris, Fayard, 1979, p. 271.
(2) Archives Nationales, BB/18/1323, pièce 552.
(3) Idem, pièce 553.
(4) Idem, pièce 555.
(5) Ibidem.
(6) Idem, pièces 558 et 559.
(7) Idem, pièces 561 et 564.
(8) Idem, pièce 565.
(9) Idem, pièce 569.
(10) Idem, pièce 571.
(11) Idem, pièce 572.
(12) Idem, pièce 575. 

(13) Cette préface est datée du 15 mars 1832.
(14) Victor Hugo, Le dernier jour d'un condamné, Paris, E. Rendul, 1832, pp. xx-xxi.
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3 avril 2010

Le préfet des Landes réclame un uniforme pour le bourreau


Sous l’Empire, les relations entre Jean-Marie Valentin-Duplantier, le préfet des Landes, et Jean-Baptiste Peyrussan, l’exécuteur de ce département, étaient particulièrement exacerbées. Le premier reprochant au second son insupportable désinvolture et son manque d'humilité. Pour le représentant de l’Etat un bourreau se devait de vivre à l'écart de la société et, afin que chacun puisse reconnaître les fonctions infamantes dont il était chargé, préconisait qu’on l’oblige à porter une marque distinctive.

Jean-Baptiste Peyrussan appartenait à une ancienne famille d’exécuteurs des Landes. Né vers 1775, il était l’aîné d’une importante fratrie issue de Jean Peyrussan, bourreau de Bordeaux, lui-même fils du bourreau de Bayonne. Fidèle à la tradition, il avait commencé par aider son père, dans la Gironde, avant d’être nommé adjoint de l’exécuteur des Landes à qui il avait succédé vers 1798. Comme presque tous les membres de sa profession il pratiquait aussi, avec plus ou moins de succès, le métier de guérisseur « possédant par mes études le talan dacomoder toute sorte de fracteures » comme il s’en flatte dans une de ses lettres, en novembre 1800. (1)

Le 21 mars 1806, le préfet Valentin-Duplantier adresse à « Son Excellence le Grand Juge, Ministre de la justice » un courrier dans lequel il se plaint de l’insolente liberté du bourreau des Landes, réclamant qu’on l’oblige à porter un signe pour le reconnaître : « On avait autrefois senti la nécessité de distinguer dans la société les hommes qui se livraient à la profession d’exécuteurs des jugements des cours criminelles. Les temps de désordre ont pu suspendre un moment cette mesure utile, mais n’ont pu détruire les motifs trop légitimes qui l’avaient dictée. Dans quelques provinces on avait adopté comme le meilleur moyen un uniforme tellement marquant qu’il ne laissait aucune part à la méprise et rassurait les honnêtes gens. Plus que jamais il est utile de faire revivre ces anciens usages. » Il énumère en même temps ce qu’il lui reproche : « L’individu employé à la Cour criminelle de Dax, insolent par caractère, barbare par l’habitude des spectacles les plus effrayants, affecte de profiter de l’ignorance des étrangers qui ne le connaissent pas, ou de surprendre les personnes qui savent ce qu’il est ; il cherche toutes les occasions de présenter au milieu des rues la main aux dames, d’offrir des renseignements aux personnes qu’il croit étrangère et d’aller dans les cafés, les spectacles, les bals et autres lieux publics, de se mêler dans les jeux, dans les fêtes qu’il est bien sûr de troubler par sa seule présence, obligeant ainsi les habitants paisibles ou à se porter envers lui à des voies de fait pour l’exclure, ou à se séparer en cédant à son extrême effronterie. » (2)

Le ministère de la justice étant apparemment peu pressé de statuer sur cette question, le préfet écrit à nouveau, le 10 mai suivant, pour réclamer des sanctions contre Peyrussan. Insistant, encore une fois, pour qu’on l’oblige à porter une marque infamante : « Son insolence n’a pas diminué, il l’a poussée au point de me dire qu’il n’était pas esclave et qu’il donnerait sa démission ou se casserait un bras pour se mettre hord d’état de travailler plutôt que de s’assujettir à aucune gêne […] Je lui ai souvent fait des reproches, mais aucune loi, aucun règlement, ne m’indiquant des moyens de répression, je n’ai pas cru devoir m’en permettre d’arbitraires. Il serait néanmoins essentiel qu’il en existât et j’aurais à m’en féliciter contre un jeune homme trop insubordonné. Ne serait-il pas possible de le soumettre à quelque marque distinctive ? » Constatant aussi, avec agacement, que l’indocile exécuteur est loin d’être isolé à Dax : « Je dois dire avec regret que cet homme s’est fait des partisans dans notre ville, soit en faisant beaucoup de dépenses, soit en donnant ses soins à des indigents, sous prétexte qu’il a quelques connaissances dans la chirurgie. » (3)

En juin 1806, Pierre-Joseph Doriginy, chef de la deuxième section de la première division du Ministère de la justice, rédige un rapport à l’usage du ministre. Il y exprime avec beaucoup d’humanité l’injustice qu’il y aurait à obliger les bourreaux à porter un uniforme : « Le préfet des Landes sollicite l’adoption d’une mesure générale qui contraindrait les exécuteurs à porter une marque distinctive qui les fit reconnaître en tous temps. Le préfet observe qu’autrefois quelques provinces avaient pris ce moyen d’empêcher que les exécuteurs ne puissent être confondus avec les autres membres de la société. Cette mesure dont l’utilité ne se fait pas vivement sentir parait au moins très rigoureuse. Il semble cruel de forcer une classe d’homme à être sans cesse sous le poid de l’ignominie, de l’empêcher d’en jamais sortir : n’est-ce pas assez que par leur état les exécuteurs soient souvent forcés de se montrer en public et d’y être en but à l’opinion qui les flétrit ? Dans l’ancien régime, dit-on, quelques provinces avaient adopté la mesure qu’on propose ; cela est vrai ; mais dans un bien plus grand nombre on avait senti tout ce qu’elle a de dur et on l’avait rejettée. » (4)

Si le préfet des Landes n’obtint pas gain de cause en ce qui concerne le port d’une marque pour les exécuteurs, il réussit cependant à se débarrasser de Jean-Baptiste Peyrussan. Celui-ci fut destitué le 28 juin 1806 et remplacé par son frère, Raymond. Muté à Riom, vers 1812, l’ex bourreau de Dax était à nouveau sans emploi en 1823. A cette époque il était père de deux enfants, un fils de 21 ans « au service » et une fille de 22 ans, installée à Bordeaux. Il ne percevait qu’une petite pension de 400 francs par an (5). Il résidait toujours à Bordeaux, vers 1828, logé 27 rue Lambert.

(1) Archives Nationales, BB/3/211.
(2) Archives Nationales, BB/3/212.
(3) Ibidem
(4) Ibidem
(5) Archives Nationales, BB/3/216.