8 août 2009

Quand les Varennes étaient bourreaux de Toulouse


La famille Varennes occupe une place très modeste dans la liste des grandes dynasties d’exécuteurs français. Elle semble issue de Bernard Varennes, bourreau de Brive-la-Gaillarde dans les années 1720-1730. Une de ses filles, Jeanne, fut l’épouse d’Antoine Denis, maître des hautes œuvres de Périgueux et deux de ses fils (1), Antoine et Jean, furent exécuteurs de Toulouse et de Cahors. Antoine Varennes s’installe à Toulouse dans la seconde moitié du XVIIIème siècle. Peut-être comme adjoint de Mathieu Bourideu, révoqué en 1757 pour son ivrognerie, puis de Jean Daizes, qu’il remplace vers 1769. A cette époque, les bourreaux de Toulouse ne manquent pas de travail et les exécutions « pour vider les prisons » se succèdent sans interruption. A peine âgé de seize ans, le fils aîné (2) aide activement son père. On sait par le journal de Pierre Barthés qu’il procéda à sa première exécution, son « coup d’essai », le 21 juillet 1769 (3). Ce jour là, à six heures du soir, sur la place Saint-Georges, il rompit vifs les frères Jean et Pierre Rouch, natifs de Limoux. Dix jours plus tard, alors qu’il devait à nouveau rouer un assassin, sa maladresse provoqua un incident regrettable. Pierre Vernet avait été condamné à mort par arrêt de la Cour du 31 juillet « ce qui a été exécuté ce même jour, par le fils de l'exécuteur, bourreau bouillant, jeune et sanguinaire , qui après lui avoir rompu le bras droit, voulant briser l'autre sans faire le tour du patient, lui écrasa le visage d'un coup de barre, ce qui acheva l'exécution , le père du bourreau ayant été obligé de l'étrangler, n'ayant pu l'exposer sur la roue , comme le portait l'arrêt , l'homme étant déjà mort. Le murmure fut général dans la place, tout le monde fut indigné d'un coup aussi peu réfléchi, et les Messieurs, fâchés autant qu'on peut l'être, firent mettre ce bourreau en prison, après l'avoir réprimandé comme il méritait, avec défense de ne plus y retomber.» (4)
Les 8, 11, 12 et 24 mai 1773, Antoine Varennes et ses valets pendirent successivement six individus, coupables de vols et d’assassinat. Les bourreaux furent tellement surmenés par ces exécutions répétées qu’ils en tombèrent malades (5). Jusqu’à la chute de la monarchie, c’est plusieurs centaines de condamnés qui passèrent ainsi entre les mains des Varennes. Antoine poursuivit ses fonctions sous la révolution (6) puis sous l’Empire, jusqu’en 1812.

Jean-Antoine Varennes, issu d’un second mariage du bourreau de Toulouse, connut la célébrité pour des activités totalement opposées à la tradition familiale. Né vers 1768, il fut d’abord l’aide de son père pendant plusieurs années, prévoyant de lui succéder un jour. Cependant, à l’époque du Directoire, il devint chef d’une redoutable bande de brigands, connue dans toute la région pour ses nombreux vols et assassinats. Arrêté avec quelques uns de ses complices, Varennes fut condamné à mort par le tribunal criminel de la Haute-Garonne. Il parvint toutefois à faire annuler ce jugement par la cour de cassation, pour vice de forme, et fut renvoyé devant le tribunal criminel du Gers.
Le 27 vendémiaire an V (18 octobre 1796), Jean-Antoine Varennes arriva à Auch avec quatre co-accusés. La charrette qui les transportait était escortée par quarante gendarmes et un important détachement de la garde nationale de Toulouse. On avait pris ces précautions parce que, disait-on, il était à craindre « que des brigands répandus sur une surface de quarante lieues et dont on présumait que Varennes était le chef ne vinssent l'arracher des mains de la justice. » Peut-être était-il un agent royaliste ? « Les émigrés rentrés en France, disait Le Rédacteur impartial, poussés par la nécessité et le désespoir de la contre-révolution se sont faits voleurs de grands chemins et tiennent à leurs gages, dans les villes principales, des hommes perdus qui volent à leur exemple, et se comportent de manière à justifier le titre de brigands, qu'ils ont depuis longtemps mérité en prenant les armes contre leur patrie.» (7) Pendant toute la durée de ce procès, la municipalité d’Auch requit une garde extraordinaire pour que « les prévenus d'aussi grands crimes ne forcent pas les verrous de leurs cachots.» (8) « Le public, écrivait Le Rédacteur impartial, a les yeux attentivement fixés sur cette affaire. On assure que les juges et les jurés seront circonvenus par l'intrigue et les sollicitations ; mais nous présumons trop bien de la probité civique des uns et des autres pour penser qu'ils puissent céder à d'autre impulsion qu'à celle de la justice.»
L'affaire, appelée devant le tribunal criminel le 15 frimaire (5 décembre 1796), nécessita plusieurs jours d'audience. Varennes était assisté par le citoyen Alexandre Ladrix, défenseur officieux (9). Enfin, « après les débats les plus orageux et les plus pénibles » Varennes, Portanel, Decler et Gelpy furent condamnés à vingt-quatre ans de fers. Ratan, dit Autipoul fut acquitté (10).

Jean-Antoine Varennes fut envoyé au bagne de Rochefort pour y subir sa peine. Il n’y resta que deux ans et s’en évada, dans la nuit du 8 au 9 juillet 1798, avec sept autres condamnés. Voici son signalement diffusé par Le Moniteur Universel (11) :
« Toulouse - le 3 thermidor
L’administration municipale vient d’être informée que le nommé Varenne, ancien exécuteur des hautes œuvres, à Toulouse, chef d’une bande d’assassins, condamné à 24 années de fers par le tribunal criminel d’Auch, s’est évadé, lui septième, des galères de Rochefort, dans la nuit du 20 au 21 messidor dernier. Voici le signalement de cet homme dangereux : il est âgé de 30 ans ; sa taille est de 5 pieds 5 pouces 6 lignes (12); il a les cheveux châtains-bruns, les sourcils de même, peu fournis, la barbe noire, le visage ovale et marqué de petite vérole, les yeux rouges, le nez ordinaire, un peu aquilin, la bouche moyenne, le menton rond, le front avancé et découvert, et une cicatrice au dessous du nez.»

(1) Ou ses petits fils ? Les informations généalogiques, à ce niveau, sont assez parcellaires.
(2) Bernard Varennes, né le 15 mai 1753 à Montauban. Il se disait aussi « raccommodeur de fractures » et mourut à Montauban le 26 mai 1821.
(3) Victor Molinier, Notice historique sur les fourches patibulaires de la ville de Toulouse, Mémoires de l'Académie impériale des sciences inscriptions et belles-lettres de Toulouse, Sixième série,Tome VI, Toulouse 1868, pp. 133-134.
(4) Ibidem.
(5) Edmond Lamouzele, Toulouse au XVIIIe siècle d’après les « heures perdues » de Pierre Barthès, Toulouse, 1914, p.347.
(6) Le 29 frimaire an II, il était en passe de démissionner de ses fonctions.
(7) Le Rédacteur impartial n° 21 du 3 brumaire an V (24 octobre 1796).
(8) Idem, n°19 du 29 vendémiaire an V (20 octobre 1796).
(9) Idem, n°41 du 13 frimaire an V (3 décembre 1796).
(10) Idem, n°46 du 23 frimaire an V (13 décembre 1796).
(11) Gazette Nationale ou Le Moniteur Universel n°312, 12 thermidor An VI (30 juillet 1798).
(12) 1,77 m.


4 août 2009

L'exécution du comte de Chalais


L’exécution d’Henri de Talleyrand-Périgord, comte de Chalais, accusé d’avoir conspiré contre Louis XIII, a été racontée par le Mercure Français en 1626 (1). A peine âgé de 26 ans, le jeune homme avait été jugé à Nantes et condamné à être décapité. Pensant retarder son supplice et lui permettre d’obtenir une grâce, ses amis étaient parvenus, par on ne sait quel stratagème, à provoquer la défection du bourreau de la ville. Sans s’arrêter à l’absence de son exécuteur habituel, la justice fit appel à un condamné à mort qui accepta de décapiter Chalais contre promesse d’avoir la vie sauve. C’était un ancien cordonnier du nom de Charles Davy. On l’équipa d’une épée de parade, non aiguisée, et d’une hache de tonnelier. L’exécution eut lieu le 19 août 1626. Ce fut une véritable boucherie. Comme le relate le Mercure, le bourreau amateur dut donner plus d’une trentaine de coups avant de parvenir à abattre la tête du supplicié :

" Ses amys ayant sçeu son Arrest de mort le iour d'auparavant l'execution, donnèrent une telle peur aux Executeurs de Iustice (tant à celuy de la Cour, qu'à celuy de Nantes,) qu'il ne se trouva point d'Executeur pour luy couper la teste : Ils esperoient que l'on pourroit en retardant le te[m]ps de l'execution pouvoir obtenir son pardon; mais cela ne luy fit que faire souffrir plus de peine à la mort : car on delibera de sortir un criminel des prisons de Nantes, auquel on donneroit la vie pour couper la teste à Chalais, ce qui se fit : Un compagnon Cordonnier (qui estoit de Touraine) & lequel devoit estre pendu trois iours apres, s'offre de faire le mestier de Bourreau, qu'il n'avoit iamais fait : aussi au lieu de couper la teste à Chalais, il luy hacha le col, ainsi que ie vous diray cy-apres.
Le Palais de Nantes & la prison regardent sur la place du Bouffroy de Nantes, lieu où se devoit faire l'execution: les deux Compagnies du Regiment des Gardes qui estoient en garde devant le Château où estoit logé le Roy, estans relevées par deux autres Compagnies qui entrerent en garde, au lieu de retourner en leur quartier, allerent se poser & s'emparer de la place du Bouffroy & de ses advenuës; on tira encores deux escouades des deux Compagnies qui estoient entrées en garde, qui les allerent joindre & renforcer.
L'execution ne se fit que sur les six heures du soir : De la porte de la prison à l'eschaffault estoient deux rangs de soldats, entre lesquels on vit Chalais assisté du Père Minime des Rosiers aller à la mort à pied, constamment, & sans faire paroistre aucune esmotion : Il avoit les mains liées, & tenoit la croix de son chapelet, qu'il baisoit par fois.
Quand il fut monté sur l'eschaffault, il regarda le peuple sans dire aucun mot : s'estant luy mesme osté le pourpoinct, le nouveau Bourreau luy couppa ses cheveux & sa moustache, laquelle voyant couppée il sembla en estre esmeu, pource qu'il l'aymoit, aussi estoit-elle fort belle; puis il tira de sa pochette ses petites heures qu'il portoit tousiours sur luy, & les donna audit Père des Rosiers. S'estant mis de genoux pour prier Dieu, le Bourreau luy presenta le bandeau, auquel il dit, Ne me fais point languir : Bandé, attendant le seul coup de la mort (à l'ordinaire) il en reçeut trente quatre auparavant que sa teste fust separée de son corps. Le Bourreau nouveau qui avoit pris une espée de Suisse sans la faire affiler, du premier coup qu'il donna fit tumber Chalais sur l'eschaffault ; tumbé, il luy donna encores quatre petits coups sur le col; au troisiesme desquels on entendit Chalais s'escrier & dire, Iesus Maria ; ce fut sa derniere parole. Alors le Père des Rosiers s'exclama, & dit au Bourreau : Mettez-luy la teste sur le billot de bois : ce qu'il fit; puis avec une doloire de Tonnelier il luy donna vingt-neuf coups auparavant qu'il peust luy couper le col.
Apres l'execution suivant ladite Lettre du Roy sur la moderation de l'Arrest, son corps & sa teste furent mis dans une biere ou cercueil, qui fut jetté dans un carrosse qui estoit exprés au pied de l'eschaffault, (on dit que c'estoit le carrosse de sa mere) pour estre porté aux Cordeliers, où il fut enterré."

(1) Le Mercure françois, Tome XII, 1626, pp. 409-411.

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