20 août 2010

Un condamné récalcitrant



Le vendredi 6 juillet 1753, à Toulouse, François Vallier, condamné à être pendu pour le viol d’une fillette, n’était pas pressé, semble-t-il, de quitter ce monde. Il fallut presque toute une après midi pour procéder à son exécution. Le maître répétiteur Pierre Barthès, qui assista à cet événement, le raconte en détails dans ses « Heures perdues » (1).

« Donc, le vendredy 6e de ce mois on pendit à la même place (2) un fort bel homme de sa figure, protestant de religion, de la ville de St Hippolite ou d’Alais dans les Cevenes (3), apellé François Vallier, convaincu d’avoir violé une fille de six ans huit mois et condamné par sentence des officiers de la justice de Villeneuve-Lez-Avignon où il fut pris dans un bois planté d’oliviers, où il commit le crime, et l’arrêt de ce parlement confirmant la sen[ten]ce a exécution ce jourd’huy.
Cet homme de l’age de 44 à 45 ans a joué la justice toute une après midy de la manière la plus comique. Libre de tous ses sens, sans confusion et sans trouble, il envoya chercher Mr le Président (4) à la maison de ville, ce juge ayant eu la complaisance de sy rendre et nayant entendu que de pauvretés, le laissa, ayant donné ordre de le conduire au supplice sans délay. Etant arrivé à St Etienne (5), selon la coutume, il ne voulut jamais faire amande honnorable, disant ne vouloir pas pardonner la justice qui sauvoit les assassins et les volleurs et condamnoit les innocens et jetta dans la foule la tabatière du confesseur. Venu à St Georges, au pied du gibet, on le fit mettre à genoux, ou sans regarder le crucifix ni écouter le père Sérane (qui suoit à grosses goutes, tant par la vehemence du chaud, qui étoit extreme ce jour là, que par la peine que ce prevenu luy donnoit, n’ayant jamais voulu confesser) il parloit à tout le monde, sans écouter les capitouls avancés pour recevoir le testament de mort. Voyant donc qu’on n’avançoit rien, on le fit monter, ce qu’il fit avec grace, et sans trouble, riant au contraire, et disant au bourreau (6) qui l’attachoit et le regardant faire « tu prends bien de précautions ». Prêt a être jetté, le père faisant tous ses efforts pour pouvoir le gagner, l’exécuteur luy dit : « Malheureux tu vas perdre ton ame, profite de ce moment ou je vais te jetter ». « Jettés moy » luy repondit-il, avec un grand sans froid. Cependant, ayant dit quil vouloit se confesser, la justice s’étant avancée on le détacha, il descendit fort librement et s’étant fait détacher les mains, on le mena dans la maison où loge un certain Larroque, perruquier, entre Cathala, l’hote, et Chétive. Là il resta une heure trois quart et se fit porter à gouter ; étant sorti, on le mena à la potence, sans avoir pu le gagner, il monta toujours de même, libre et sain de jugement et d’esprit, étant rattaché, et le père ne pouvant réussir à l’assujetir à ses exhortations. Le bourreau de son coté perdant aussy son temps malgré sa ferveur, et son zèle. Cet homme se tournant vers le peuple à gauche dit en levant les mains et apellant encore les capitouls qui ne voulurent pas venir « messrs je suis innocent comme l’enfant d’un jour ». L’exécuteur luy répétant qu’il alloit le faire sauter, « Et bien sautons » dit-il, et s’élança luy même. »
 
(1) Journal de Pierre Barthès, Bibliothèque Municipale de Toulouse, Ms 701, f°46-48.
(2) Place Saint-Georges, où était construit un échafaud permanent, qui était le lieu principal des exécutions toulousaines au XVIIIe siècle.
(3) Saint-Hippolyte-du-Fort (Gard) et Alès (Gard).
(4) Espace laissé en blanc, son nom n’est pas indiqué.
(5) Sur le parvis de l’église Saint-Etienne, lieu où on faisait habituellement amende honorable.
(6) Le bourreau de Toulouse était alors Mathieu Bouirou.