27 novembre 2009

Exécution secrète (suite)


Toujours au chapitre des exécutions secrètes on peut apporter au dossier une nouvelle pièce. C'est une lettre de M. d'Argenson, lieutenant général de police à Paris (1), adressée au Contrôleur Général des Finances, le 16 septembre 1703. Elle concerne un espion protestant enfermé à la Bastille. Le document en lui-même n'apporte pas de révélations spectaculaires, simplement il témoigne que sous le règne de Louis XIV ont avait parfois recours à la pratique des exécutions "discrètes". En l'occurrence dans la cour d'une prison.

"Le nommé Perrot, de Neufchâtel, que vous m'avez ordonné de faire conduire à la Bastille en qualité d'espion, et que des papiers trouvés dans sa chambre convainquent de l'être, tua hier un autre prisonnier qu'on avoit mis avec lui. Je l'allai interroger sur-le-champ, et je lui représentai le cadavre : il me répondit que cet homme, nommé Chevalier, étoit un papiste, qui parloit mal de la religion réformée; qu'il l'avoit tué pour la gloire de la vérité tyranniquement persécutée, et que le Dieu vivant lui avoit inspiré ce dessein. Il insulta même le cadavre en ma présence, et je puis néanmoins vous assurer qu'il étoit dans tout son bon sens, mais animé de cette espèce de fureur qui fait agir les fanatiques, ne parlant que de rétablir l'exercice de sa religion par le fer et par le feu, de tout entreprendre pour venger ses frères, et de mourir pour la défense du culte de Dieu. Il y auroit plus de matière qu'il n'en faut pour lui faire son procès et pour le condamner au dernier supplice; il a même donné un coup d'épée dans la cuisse du capitaine des portes, qui étoit allé au secours de son camarade expirant. Mais je ne sais s'il est à propos d'exposer en public un homme de ce caractère, qui sera d'humeur à prêcher le peuple jusque sur l'échafaud et à donner au milieu de Paris un spectacle peu convenable à la conjoncture où nous sommes. On pourroit néanmoins le juger dans la Chambre de l'Arsenal et le faire exécuter dans la cour même de la Bastille; mais c'est, ce me semble, prendre bien des précautions pour un homme de ce caractère, et je craindrais que le public n'en présumât des faits encore plus graves que ceux qui font le crime de cet accusé. Pardonnez-moi la liberté que je prends de vous dire ce que je pense sur ce sujet, avant de savoir quelles pourront être vos vues, que je respecterai toujours comme je le dois, et auxquelles je soumettrai sans réplique mes faibles lumières." (2)

(1) Marc René de Voyer de Paulmy d'Argenson (1652-1721), ministre d'Etat et lieutenant général de police de 1697 à 1718.
(2) A.M. de Boislisle, Correspondance des contrôleurs généraux de finances avec les intendants des provinces, tome 2 (1699 à 1708), Paris, Imprimerie Nationale, 1883, n°524 pp.151-152.

 

22 novembre 2009

Règlement du bourreau de Montauban (1588)

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La ville de Montauban possédait un bourreau dès le XVème siècle. En 1536, ses consuls édictèrent un règlement sur les « libertés et franchises » accordées à l’exécuteur. Le 13 mai 1588, le conseil général de police de l’hôtel de ville renouvela ces statuts en y ajoutant toute une série d’obligations en rapport avec la vie locale. Outre ses activités traditionnelles, comme la punition des criminels et des délinquants, on observe que le bourreau était chargé de la propreté de la cité et de la répression des petits abus quotidiens. Il nous a paru intéressant de publier ce document (1) (avec quelques corrections de l’orthographe) :

- [il est interdit à l’exécuteur] de ne point sortir de la ville ou faubourg pour aller faire quelque exécution ou pour aller aux foires et marchés des environs sans la permission des consuls.
- Il tiendra la place publique nette et la fiente lui appartiendra.
- Il visitera chaque jour la fontaine du Griffoul, l’abreuvoir, l’oulete et la fontaine du Moustier et s’il y trouve quelqu’un qui y lave quelque tête de mouton ou d’autre bête, ou du linge, il l’exécutera sur ce que cette même personne y aura apporté et retiendra ce qu’il lui aura pris jusqu’à ce que, pour chaque exécution (2), il lui soit payé 1 sol tournois.
- La même chose lui est permise s’il trouve quelqu’un qui puise de l’eau dans le bassin du Griffoul avec quelque vaisseau (3) qu’il gardera jusqu’au payement de l’amende d’un sol tournois.
- S’il trouve quelque bête liée et attachée à quelque pilier de la grande place publique ou dans les rues de la ville, il prendra la bête et la mènera au château royal où il la tiendra renfermée jusqu’à ce qu’il soit payé d’un sol d’amende ; outre cela il gardera le licol sans que le concierge en puisse prendre aucun droit.
- Ses gages ordinaires seront d’un écu par mois de 60 sols.
- A la pentecôte, outre ses gages il lui sera baillé une casaque de drap, des chausses et un bonnet de la couleur qu’il plaira aux consuls.
- Chaque premier jour de l’année que la Sainte Cène du Seigneur sera célébrée dans la ville, il lui sera donné par le trésorier de l’hôtel de ville 10 sols tournois outre le précédent salaire.
- Les outils nécessaires pour faire les exécutions lui seront fournis par les consuls.
- A chaque exécution il aura une paire de gants et s’il arrivait qu’il ait besoin d’aide ou d’autre exécuteur ou autrement pour quelque exécution les consuls feront payer l’aide par le trésorier.
- Pour le fouet ou les verges donnés dans la basse cour de l’hôtel de ville il aura 6 sols.
- Pour le fouet ou les verges aux environs de la place publique il aura 7 sols 6 deniers.
- Pour tout homme ou femme condamnés aux verges ou au fouet à tous les coins de la ville il aura 10 sols.
- S’il faut qu’il aille à quelqu’un des faubourgs de cette ville et jusqu’aux croix il aura 15 sols.
- A chaque fois qu’il appliquera la question il aura 15 sols.
- Pour chacun mis au pilori il aura 5 sols et s’il faut le conduire aux faubourgs pour le mettre il aura 7 sols 6 deniers.
- S’il coupe une ou deux oreilles et s’il flétrit quelqu’un, soit en le marquant sur l’épaule ou sur le front ou sur toute autre partie du corps, ou bien s’il doit couper la langue ou la percer sans passer à d’autres punitions, il aura 15 sols tournois en ce compris le salaire du fouet s’il y est condamné.
- De chaque personne désespérée (4) et pour porter le cadavre aux champs il aura 15 sols tournois.
- De tout homme ou femme qu’il pendra et étranglera à la place publique ou en quelque autre endroit de la juridiction il aura 40 sols tournois.
- Pour chaque tête qu’il coupera dans la ville ou sa juridiction il aura 40 sols tournois.
- Si quelqu’un est condamné à avoir quelque membre coupé et qu’il le coupe, soit en vie ou mort, il aura 50 sols sous la condition de porter le membre coupé là où la justice lui aura ordonné de le porter.
- Pour toute personne qu’il exécutera et qui sera condamnée à être brûlée, soit en huile ou autrement, en vie ou mort, il aura un écu sol pour chacun.
- De toute personne rouée il aura tant pour lui que pour ceux qui l’aideront 100 sols.
- Si quelqu’un est plongé dans la rivière deux à trois fois pour avoir blasphémé ou pour toute autre pareille raison, il aura 20 sols.
- S’il jette de la chair moruuse (5) dans la rivière ou qu’il la brûle à la place publique, il aura 2 sols 6 deniers.
- Tous porcs grands et petits trouvés dans les fossés de la ville, à Villenouvelle ou à Villebourbon ou sur les terrasses de campagnes ou du Moustier, il les prendra et les conduira au château royal et pour chacun, ou pour chaque truie, il aura 10 sols tournois de celui à qui les porcs appartiendront.
- Pour chaque brebis ou chèvre, il lui sera payé 6 deniers.
- Pour chaque cheval, jument, âne, ânesse, il lui sera payé 1 sol tournois.
- S’il trouve des porcs, pourceaux ou truies dans l’enclos de cette ville, ou des oisons et des canards, il les enfermera au château royal et pour chacun les maîtres de ces animaux lui payeront un sol, et pour chaque oison ou canard, 6 deniers tournois.
- Quand il ira aux foires, aux marchés de la ville ou quelques autres lieux, il ne prendra rien des paysans, que de gré et ce qu’ils lui voudront donner pour une fois seulement, sans pouvoir mettre la main aux paniers.
- Et pour être reconnu il portera la casaque avec une verge à la main et s’il demande du bois aux charretiers il en prendra volontairement sans qu’ils y soient contraints.
- Les consuls de la ville lui baillent une petite maison située au carrayron ou petite rue des josias (6), sans payer aucun louage, rente, ni taille, laquelle maison il tiendra nette et sera tenue en bon état par la communauté.
- S’il contrevient et délinque à tout ce dessus il demeura 24 heures aux ceps (7), sans prendre de plus grande punition s’il y échoit.

(1) Bibliothèque Nationale, N.A.F. 10139, f° 305r°-307v°.
(2) chaque confiscation.
(3) vaisseau, c’est-à-dire un récipient.
(4) désespérée (qui s’est suicidée)
(5) putréfiée.

(6) C'est-à-dire sur le carreron, rue des juifs. Cette ruelle, qui partait de l'église Saint-Jacques, était bordée à son extrémité par une maison appartenant à la ville et où, déjà en 1480, le bourreau était logé.
(7) il sera mis aux fers, en prison. 



18 novembre 2009

Une exécution secrète (1531)

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Nous avons déjà évoqué à deux reprises des exécutions secrètes (1). Récemment, à la Bibliothèque Nationale, nous avons découvert un document faisant mention d'un nouveau cas qui peut se rattacher à cette catégorie. Cette fois encore, l'ordre est venu "d'en haut", du roi lui-même. Il s'agit d'une copie d'une lettre patente signée à Fontainebleau, le 5 août 1531, par François 1er. Que dit-elle ? En résumé, elle ordonne que le nommé Olivier Delaunez (ou de Lannes) détenu dans les prisons du Petit Châtelet, condamné à être pendu et étranglé par le prévôt de Paris pour crime qualifié commis dans le palais du roi, soit exécuté secrètement par le bourreau. En effet, il est spécifié que le condamné "soit jeté en un sac en la rivière de Seine, à telle heure que peu de gens en puissent avoir connaissance...", en présence de l'avocat du roi et de plusieurs conseillers au Châtelet (2).

Il semblerait que le prévôt de Paris ait mis cet ordre à exécution le 13 septembre suivant.

Faute d'avoir pu découvrir d'autres sources sur cette affaire, nous ne pouvons pas préciser qui était cet Olivier Delaunez, les circonstances de son crime et, surtout, la raison pour laquelle le roi avait personnellement donné ordre qu'on le fasse disparaître discrètement.
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(1) Cf nos articles parus le 10 juin 2009 et le 19 octobre 2009.
(2) Bibliothèque Nationale, Ms Fr. 21731, f°322.

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12 novembre 2009

Un ouvrage sur les bourreaux en 1702


Dans sa livraison de l'année 1703, le Journal des savants, qui rendait compte des principaux ouvrages qui paraissaient en Europe, signale la sortie d'un livre particulièrement insolite. Un in-quarto de 144 pages imprimé à Iéna, en 1702, chez Tobie Oehriingius. Rédigée par Adrian Beier (1) et intitulée De eo quod circa carnifices et excoriatores justum est, qu'on peut traduire par Du droit concernant les exécuteurs et les écorcheurs, il s'agit, à notre connaissance, de la première publication entièrement consacrée aux bourreaux (2). Bien que traitant principalement des exécuteurs allemands, cet ouvrage constitue une source d'autant plus précieuse qu'elle est contemporaine d'une profession alors en pleine prospérité des deux côtés du Rhin. Voici l'analyse qu'en donne le Journal des savants :

"L'auteur commence par son apologie. Il avoue que deux choses l'auroient dû détourner de son dessein ; l'indignité des personnes, dont il traite, &; le desagrément de la matière, que les gens d'une telle profession & de ce mestier sont également dignes d'aversion & de mépris, & qu'au lieu qu'un Auteur s'égaye dans un sujet enjoué & qui divertit, il est presque impossible qu'on ne soit saisit d'une secrète horreur, en traitant d'un matière si désagréable & qui blesse si fort l'imagination ; mais que le motif qui l'a porté à entreprendre cet Ouvrage est qu'ayant déjà fait deux Traitez, l'un des arts & mestiers, & l'autre des dépens pour le criminel, celuy-cy est une suite nécessaire des deux autres.
M. Beier fait voir par des exemples tirez de l'histoire sacrée & prophane, qu'anciennement les juges qui rendoient un jugement de mort, executoient eux-mêmes leurs sentences sur les coupables, & qu'il n'y avoit point de ministre ordinaire & particulier pour leur execution, tel que celuy qui a esté depuis établi par une autorité publique. Qu'autrefois en Espagne, en France, en Italie & en Allemagne, lorsque plusieurs avoient esté condamnés au supplice pour un même crime, on donnoit la vie à celuy d'entre eux qui vouloit bien exercer ce cruel ministère sur ses complices, & qu'on voit encore au milieu de la ville de Gand deux Statuës d'airain, monument éternel d'un père & d'un fils convaincus d'un même crime, où le fils servit d'exécuteur à son propre père.
Qu'avant que cette fonction eût esté erigée dans l'Allemagne en titre d'office, le plus jeune de la communauté ou du corps de ville, demeuroit chargé de cet employ. En Franconie c'étoit le nouveau marié : A Reutlingue ville Impériale de Suaube, le Conseiller dernier reçu : A Stedien petite ville de Thuringe, celuy des habitans qui étoit venu le dernier s'habituer dans le lieu.
Il y a des Auteurs qui ont mis au nombre des droits Regaliens, celuy d'accorder des provisions de cet Office. Notre Auteur remarque qu'il n'est pas permis à tous ceux qui ont droit de justice, d'avoir un Executeur, ou Maître des hautes œuvres, mais que ce droit n'appartient qu'aux Seigneurs qui ont merum imperium, qu'on appelle droit de glaive, ou justice de sang.
Cette charge est unie dans la plûpart des villes d'Allemagne au mestier d'Ecorcheurs : c'est la raison que l'Auteur a eu de ne les pas séparer ; cette seconde fonction estant comme un apanage de la première. Ils sont seuls en droit de dépouiller les bestes mortes, & de les porter, ou faire porter hors de la ville. Ils ont aussi coutume de se promener par les ruës les jours de jeûne, de se saisir des chiens qu'ils trouvent errans & vagabonds, & de ne les rendre aux maîtres qui les réclament, qu'en leur payant un certain droit.
Les gens de cette profession sont aussi en possession de remettre les os disloquez ou rompus. Quoique le corps des Chirurgiens se soit plaint assez souvent de cette entreprise & du trouble qui leur estoit fait, il est intervenu différentes Sentences, qui ont laissé le choix aux patiens de se mettre entre les mains des Chirurgiens, ou en celles de cet Officier, pour les fractures & luxations seulement, à l'exclusion de toutes autres opérations de Chirurgie.
Les autres questions traitées dans ce livre, sont de sçavoir si le Prince ou le Magistrat peuvent obliger un particulier, contre son gré, d'accepter cette sorte d'office; si cette profession est infamante ; si les enfans de l'Executeur peuvent estre admis aux degrez dans les Universitez ? Quelle est la peine ordonnée contre ceux qui enlèvent les criminels, lors qu'ils sont conduits au supplice ? & la punition de ceux qui jettent des pierres contre l'Executeur lors qu'il a manqué du premier coup l'execution; du traitement qui doit estre fait à ceux qui se sont homicidés; & tout au contraire comment on doit procéder contre le criminel, lorsque la mort n'a pas suivi l'execution; s'il faut le remener au gibet, ou le laisser impuni, ou decerner une peine extraordinaire contre luy."
(3)

(1) Juriste allemand, professeur de droit à Iéna (Thuringe, Allemagne).
(2) La Bibliothèque Nationale possède un exemplaire de cet ouvrage sous la cote E*-469.
(3) Le Journal des sçavans pour l'année MDCCIII, Paris, Jean Cusson, 1703, pp. 87-89.

8 novembre 2009

De la hauteur des potences


Au printemps 1775, la France fut secouée par une révolte populaire connue sous le nom de la guerre des farines. Dans un contexte de disette, à la suite d’une hausse du prix des grains et par conséquent du pain, des émeutes éclatèrent à Paris, en île de France et dans plusieurs provinces. Brutalement réprimée, la contestation fut suivie par une vague d’arrestation et la punition de nombreux émeutiers. Dans la capitale, deux individus (1) qui avaient pris une part active au pillage de la boutique d'un boulanger, dans la faubourg Saint-Marcel, le mercredi 3 mai, furent condamnés à mort.

Jugés le 11 mai par la chambre criminelle du Châtelet, les deux émeutiers furent pendus le jour même, vers quatre heures de l'après midi. Dans des circonstances aussi particulières, le procureur du roi avait exigé qu'ils soient accrochés à de très hautes potences afin d’être vus de très loin. On sait que cette initiative ne fut pas du goût de Charles-Henry Sanson, l’exécuteur, qui redoutait d’avoir à officier à plus de cinq mètres du sol. En dépit de ses craintes, on lui commanda d’obéir en lui promettant que le dispositif ne serait utilisé qu’à cette seule occasion.
Dans son journal, Louis-Adrien Le Paige, avocat au parlement et bailli du Temple, relate cette exécution :

« Du 11 mai 1775. On a pendu aujourd’hui à la Grève deux des pillards par jugement du prévôt. Les potences avaient douze ou quinze pieds de haut ; le procureur du roi y avait conclu, mais le jugement ne le portait pas. Cependant cet extraordinaire a eu lieu. Le bourreau, effrayé de cette longue échelle qui tremblait sous lui, est monté à l’hôtel de ville pour représenter au prévôt, qui y était, le péril où cette élévation le mettait lui et le patient ; mais on lui a répondu que cela était fait, et que ce ne serait que cette fois. Il a fallu qu’il s’en tirât de son mieux, ce qu’il n’a fait qu’en craignant beaucoup de culbuter avec son patient, ce qui n’est pas arrivé. Toutes les issues qui répondaient à la grève étaient gardées par des gens à pied et à cheval, la bayonnette au bout du fusil ou l’épée à la main, qui tournaient le dos à la grève et qui faisaient face à ceux qui y seraient entrés. On n’y a laissé entrer que très peu de monde. On les a pendus en plein jour, vers les quatre à cinq heures. On en a pendu aussi deux à Soissons, quelques-uns envoyés aux galères, d’autres bannis. » (2)

De même que le libraire Siméon-Prosper Hardy :

" On avait posé qu'à trois heures après midi les deux potences hautes de dix-huit pieds par extraordinaire et sans doute pour plus grand exemple. Dès deux heures la place de Grève et tous les environs avaient été garnis par des détachemens des différentes troupes tant à pied qu'à cheval. Les Suisses et les gardes françaises continuaient aussi leurs patrouilles dans les rues adjacentes. […] Ces deux malheureux quoiqu'atteints et convaincus d'avoir joué un rôle principal dans la sédition et émotion populaire du 3 mai, criaient le long du chemin en allant au supplice qu'ils étaient innocents et continuent la même protestation en montant à l'échelle pour être pendus." (3)

(1)  Jean-Denis Desportes, 30 ans, perruquier et ancien soldat du régiment de la vieille marine, et Jean-Charles L’Eguiller, 18 ans, gazier.
(2) A. Gazier, La guerre des farines (mai 1775), Mémoires de la Société de l’Histoire de Paris et de l’Ile de France, Tome VI (1879), Paris, H. Champion, 1880, pp. 12-13.

(3) Bibliothèque Nationale, Ms Fr. 6682, f°67.

5 novembre 2009

Emotion d'échafaud à Arras vers 1594

 
Avec ce nouveau récit d'une émotion d'échafaud qui a pour cadre, cette fois, le Nord de la France, il apparait que pour l'opinion publique d'autrefois, le lynchage d'un bourreau maladroit – surtout s'il avait inutilement fait souffrir le condamné – semblait une punition tout-à-fait légitime.
A Arras, vers 1594, la population s'était rassemblée sur la place du grand marché pour assister à l'exécution du nommé Nicolas de la Rye. Le supplicié devait être décapité à l'épée. Opération qui, nous l'avons souvent constaté, était particulièrement difficile à réaliser, même pour un bourreau expérimenté. L'exécuteur, Etienne Chyron, ne parvint pas à décoller du premier coup le condamné. Après plusieurs tentatives pour achever l'opération, qui échouèrent, il fut contraint de "débiter" son patient à la manière d'un boucher. S'en était trop pour les spectateurs. Spontanément, l'un d'eux s'empara de l'échelle de l'échafaud et en frappa violemment le bourreau à la tête. Blessé, celui-ci s'enfuit poursuivi par une partie de l'assistance armée de pierres et de bâtons. Le malheureux, qui s'était refugié dans la cave de l'auberge du cygne, y fut assailli par ses poursuivants et criblé de coups. Il succomba, ayant reçu plusieurs blessures mortelles.

Un jeune homme d'Arras, Antoine Meynart, avait participé au meurtre du bourreau en lui donnant un coup de couteau dans le dos. En fuite, il demanda – et obtint semble-t-il en 1594 – sa réhabilitation (1). Voici un extrait du document où, pour justifier son acte, il met en avant sa conviction " que telle chose (la mise à mort du bourreau) se pouvoit licitement faire, selon que la commune populace en at l'opinion…"

" [Antoine Meynart, jeune homme d'Arras, s'était ] avec plusieurs aultres d'icelle ville, transporté sur le grand marché pour voir l'exécution que s'y faisoit, avec l'espée, de Nicolas de la Rye, ce qu'exécutant, certain officier de justice, nommé maistre Etienne Chyron, auroit, par plusieurs et diverses fois, failly de lui trancher la teste, laquelle, à la parfin, il auroit esté pitoiablement constrainct luy hacher, dont le peuple y assistant se seroit tellement esmeu que ung d'entre ledict peuple se seroit le premier advancé de prendre l'eschelle apposée à l'eschafaut et d'icelle donné ung coup mortel sur la teste d'iceluy officier, lequel, s'estant mis en fuyte, auroit tellement esté poursuiviz par la plupart du peuple y assemblé, qu'il auroit esté chassé dans la cave de l'hostellerye où pend pour enseigne le cigne ; entre lesquelz ledit Antoine Meynart (encoire jeusne homme, pensant que telle chose se pouvoit licitement faire, selon que la commune populace en at l'opinion, combien qu'erronnée), s'y seroit trouvé, mesmes avec plusieurs poursuivans, dans la cave, où ledit officier seroit décédé des coups par luy receus et, par espéciale de celuy de l'eschelle qui desja estoit mortel, et d'aultres qui lui auroient esté inférez de ceulx estans entrez en ladite cave, entre lesquelz ledit Antoine auroit donné ung coup de cousteau au dos, pensant telle chose se pouvoir faire impugnément comme dict est et qu'il se seroit de tant plus persuadé, qu'il voyoit telle multitude de peuple faire le semblable et poursuyvre ledict officier, garniz de pierres, cailloux et aultres bastons ; ce qu'ainsi advenu, voyant ledict suppliant que plusieurs en seroient esté recherchez, mesmes constituez prisonniers, dont les aulcuns auroient esté puniz par le dernier supplice comme aultrement, se seroit absenté de la dicte ville d'Arras et auroit esté banni à tous jours et à toutes nuictes à paine de hart." (2)

(1) Chrétien Dehaisnes, Etude sur les registres des chartes de l'audience conservés dans l'ancienne chambre des comptes de Lille, Mémoires de la Société des Sciences, de l'Agriculture et des Arts de Lille, 4e série, Tome 1er, Paris-Lille, 1876, pp. 366-367.
(2) Archives départementales du Nord, B.1790, année 1594.