28 juin 2009

Un perroquet sur l’échafaud


Quand il arrive à Marseille, en août 1856, Gaspard Matracia, 46 ans, a déjà bien roulé sa bosse. Né à Palerme, en Sicile, il a choisi le métier d’acrobate dès l’âge de neuf ans et, depuis lors, n’a cessé d’être sur les routes. Il a travaillé à gênes, Alexandrie, au Caire, à Tunis…. Peu après son installation dans la Cité phocéenne, où il gagne sa vie comme prestidigitateur et acrobate, il fait la connaissance d’une famille de compatriotes, les Campeziano, au domicile desquels il s’installe, 31 cours Belzunce. Il séduit la fille de son hôte, Lucrèce, à peine âgée de vingt ans. Mais ses manières sont loin de plaire à la mère de cette dernière qui lui manifeste ouvertement son hostilité. Dans la soirée du 1er janvier 1857, en état d’ivresse, il revient au domicile accompagné de quelques amis. Ils font du tapage. Madame Campeziano crie qu’on aille chercher la police. Matracia voit rouge. Dans sa chambre il saisit son poignard et, selon l’usage des siciliens, « passe la flamme au feu et la frotte d’ail pour la rendre plus meurtrière ». Peu après, on retrouvera Madame Campeziano et son autre fille, Diane, assassinées, baignant dans une mare de sang.

Matracia est arrêté deux jours plus tard, sur la route de Toulon, d’où il comptait s’embarquer pour la Sardaigne. Il est rapidement confondu. Le 13 février 1857, il est condamné à mort par la cour d’assises des Bouches du Rhône.
En attendant, le sicilien est aux fers dans une prison de Marseille. Il n’est pas seul dans sa cellule car l’administration lui a accordé l’autorisation de garder avec lui son perroquet. Ce volatile, qu’il a élevé et auquel il tient beaucoup, a toujours été son partenaire de spectacle. Baptisé Papa Gallo, il est capable de répéter des phrases en cinq langues différentes.
Sitôt le rejet de la demande de grâce de Matracia connu, le procureur général d’Aix-en-Provence se charge de prendre toutes les mesures pour faire procéder, sans tarder, à son exécution. Dans le but de diminuer autant que possible l’affluence du public, il a recommandé la plus totale discrétion à toutes les personnes susceptibles d’y prendre part. Le secret devra être gardé tant sur le jour, l’heure et le lieu de l’accomplissement de la peine. Malgré cela, alertés par le départ des bois de justice d’Aix pour Marseille, plusieurs curieux ont répandu la nouvelle.
L’autre préoccupation du magistrat est l’exécution elle-même. Laurent Desmorest, l’exécuteur d’Aix qui en est chargé, en prévision d’une éventuelle résistance de Matracia, connu pour son caractère violent et sa grande force physique, insiste fortement pour se faire assister d’un adjoint. Accédant à sa demande, le procureur réclame à son collègue de Nîmes l’exécuteur-adjoint de sa cour d’appel. Comme il est absent, Martin-Pierre Berger, l’exécuteur en chef du Gard, s’offre spontanément de le remplacer « sans augmentation de frais.» (1)
Le procureur insiste pour que l’exécution ait lieu de très bonne heure. Mais arrivés à Marseille, Desmorest et Berger déclarent qu’il leur sera impossible d’être prêts avant sept heures.
Le 21 mars 1857, à 6h45, Gaspard Matracia est réveillé dans sa cellule. « Je m’y attendais » dit-il simplement. Comme il tient à paraître dans son habit noir – comme au spectacle – les exécuteurs sont obligés de lui découdre son col. Pendant ce temps, l’ouvrier chargé de lui enlever ses fers peine à y parvenir. Cette opération, longue et douloureuse, ne dure pas moins d’une demi-heure.
Enfin à 7h10, le condamné monte dans la voiture cellulaire en compagnie de son confesseur, l’abbé Richard, de l’exécuteur Berger et… de son perroquet. La présence de l’animal aux côtés de son maître, dans ses derniers instants, avait d’abord été refusée puis, dans la crainte d’une révolte, finalement acceptée.
Le fourgon quitte la prison, remonte le boulevard Chave et, vers 7h25, arrive sur la place Saint-Michel où la guillotine a été dressée. L’exécuteur de Nîmes en descend le premier tenant, au grand étonnement du public, une cage qu’il dépose sur l’échafaud. Le sicilien gravit les marches d’un pas ferme, s’agenouille un instant pour se recueillir, puis se relève en criant à la foule : « Je demande pardon aux Marseillais du grand scandale que je leur ai donné ; je pardonne à tout le monde et je désire qu’on prie pour mon âme. » Desmorest a ouvert la cage du perroquet qui, aussitôt, est venu se poser sur l’épaule du condamné. On l’entend lui murmurer : « Ton maître va mourir ; il te caresse pour la dernière fois ». Il est 7h30 quand le couperet s’abat dans un bruit sourd. L’oiseau, effrayé, bat un instant des ailes (2).
Le lendemain, en rendant compte au garde des sceaux de l’exécution, le procureur général d’Aix est obligé de signaler la présence du perroquet « Votre excellence remarquera sans doute que, par un sentiment de pitié inintelligent et pour satisfaire aux derniers désirs du condamné, on a permis à Matracia d’emporter avec lui jusqu’au pied de l’échafaud un perroquet auquel il tenait beaucoup.» déplorant que cette faveur incongrue « a fait perdre son caractère de gravité à la scène terrible qui allait avoir lieu .» (3) Le magistrat ajoute, concernant l’attitude des exécuteurs : « il parait aussi que l’exécution, au lieu d’être faite par l’exécuteur d’Aix, l’a été par celui de Nîmes et que l’exécuteur en titre était surtout préoccupé du désir de n’être pas reconnu par la population. » (4)
Après l’exécution, l’école de médecine de Marseille effectua un moulage de la tête de Gaspard Matracia. Quant au perroquet, il fut offert au directeur de la prison.

Jourdan

(1) Archives Nationales, BB/24/2026.
(2) Journal de Toulouse, 24 mars 1857.
(3) Archives Nationales, BB/24/2026.
(4) Ibidem.


26 juin 2009

Quand le bourreau "arquebusait" les malades


De toutes les techniques employées par le bourreau pour exécuter ses patients, l'utilisation de l'arquebuse parait assez inattendue. Au XVIe siècle, mettre à mort un condamné avec une arme à feu aurait constitué un réel progrès. Il semble que ce moyen "moderne" n'ait pas suscité l'enthousiasme des magistrats d'alors, lesquels préféraient les peines spectaculaires à l'emploi de méthodes aussi triviales.
Nous connaissons quelques exemples de bourreaux transformés en chasseurs occasionnels. Ainsi, dans les années 1580-1590, Pierre Fleuriet, bourreau de Dijon, reçut une arquebuse avec mission d'abattre les malades de la peste qui s'approcheraient trop près des murs de la ville. Évidemment, le choix d'une arme permettant de tuer à distance était surtout dicté par le souci de ne pas entrer en contact direct avec les personnes contagieuses.
Un arrêt du Parlement, du 1er septembre 1576, destiné à arrêter la contagion qui menaçait la cité, avait ordonné aux habitants d'obéir à toutes les prescriptions des magistrats sous peine d'êtres "pendus et estranglés". Pour cette raison, le 16 mars 1585, les édiles condamnèrent à la potence un certain Richard Verle, sanctionné pour ses manquements aux mesures de police concernant les pestiférés. Comme l'exécuteur courait le risque d'être lui-même contaminé en exécutant cette sentence, il fut autorisé à utiliser une arquebuse et à faire feu sur l'accusé dès qu'il le verrait discuter avec des personnes en bonne santé. (1)

Avec le danger de plus en plus grand de voir le fléau décimer la capitale de la Bourgogne, les magistrats n'hésitèrent pas à renouveler les menaces de mort contre les malades qui oseraient s'en approcher. Le 18 avril 1586, les paysans qui voulaient entrer en ville durent déclarer d'où ils venaient, sous peine d'être immédiatement arquebusés. " II fut deffendu à tous malades ou ayant la peste collante se mettre sur les grands chemins parmi les saings ou se mesler es assemblées es rues et s'aprocher les portes et advenues de ladite ville, à peine de mort." Le 21 juillet suivant, "sur l'observation que les sergents commis pour porter l'arquebuse et tenir les chemins et endroits où les pestes et aultres retirés sont, pour faire contenir iceulx et ne permettre qu'ils vaguent par les chemins, font reffus de tirer les désobeyssants suivant les arrests de la Cour, la Chambre (de ville) a commis et institué l'exécuteur de la haulte justice porter l'arquebuz et tuer lesdits désobeyssants promptement et sur-le-champ, les trouvant en désobeyssance et luy sera donné trois écus un tier de gages. "
Désormais promu "chasseur de pestiférés" l'exécuteur Pierre Fleuriet fut reçu par le chambre le 29 juillet 1586, "où estant, le sieur visconte maieur luy a faict entendre la commission à luy defferrée par icelle et ce qui en despend pour l'exercice, a promis par son serment presté aux saints évangiles de Dieu porter l'arquebuz et promptement tuer celluy ou ceulx qui se trouveront parmi les saings ayant la peste, ou qui auront esté en lieux infectés ; et incontinent qu'il sera adverty pour ce fait, se mettra en debvoir de marcher et aller trouver celluy qui le demandera avec son arquebuz toute preste. Et sera advancé ung mois audit exécuteur pour luy avoir une arquebuz. " (2) Avis en fut donné au public.
Ce n'étaient pas de vaines menaces car, un mois plus tard, le 30 août, un vigneron de la Roulotte ayant contrevenu à l'ordonnance fut attaché par le bourreau à un poteau du cimetière aux chevaux et arquebusé.
Alternant cette nouvelle mission avec les autres activités plus classiques de son office, Fleuriet continua pendant longtemps d'être l'arquebusier à gages de Dijon. Le 23 août 1596, on voit encore les magistrats municipaux prescrire des mesures similaires : « Informée que nonobstant les injonctions et deffenses aux mallades de la peste de sortir de l'isle et des maisons où ils sont logés, touttefois ils ne délaissent de tenir les chemins, vaguer ça et là, s'aprocher des saings, voir, prendre et toucher les denrées que l'on amène en ville, qui est pour inconvénienter et infecter un chacun : pour empescher la continuation de tels pernicieux et mauvais actes, la Chambre du Conseil de la ville ordonne à tous les malades se contenir esdits lieux sans en partir, ny tenir les chemins, approcher les murailles et portes de la ville de cinq cents pas, à peine d'être arquebusés par l'exécuteur de la haute justice ou son valet à cest effet commis. »
Jusqu'en 1634 et même au delà, cette ordonnance resta toujours en vigueur mais on ignore si elle continua d'être aussi rigoureusement appliquée.
Dès 1605, Pierre Fleuriet avait abandonné ses fonctions d'exécuteur de la haute justice de Dijon, après les avoir exercées pendant plus de trente ans.

(1) N. Clément-Janin, Le Morimont de Dijon. Bourreaux et supplices, Dijon, Darantière, 1889, p.67-68.
(2) Henry Daroy, Les fontaines publiques de la ville de Dijon, Paris, Victor Dalmont, 1856, pp. 60-61.


25 juin 2009

Qui a assassiné le bourreau de Lyon ?


Que s’est-il passé dans la maison du bourreau de Lyon, dans la nuit du 18 au 19 mai 1723 ? Par qui et pourquoi l’exécuteur et sa femme ont-ils été assassinés d’une manière aussi violente ? Malgré une enquête d’un commissaire de la sénéchaussée de Lyon, hâtivement menée et rapidement classée, le mystère n’a jamais été résolu.
Le 20 mai dernier, nous avons publié quelques lignes sur cette affaire, laissant les cadavres d’Antoine Benoit et de sa femme dans la rue, devant le cimetière de la Madeleine, au faubourg de la Guillotière. Depuis, nous avons eu l’occasion de dépouiller toutes les pièces de la procédure criminelle qui fut diligentée à l’époque. Ce dossier est conservé dans le fonds de la sénéchaussée de Lyon, aux Archives départementales du Rhône, sous la cote BP 2998. (1)

Le jeudi 20 mai 1723, au matin, il règne une agitation inhabituelle autour de la demeure du bourreau de Lyon, à La Guillotière. C’est un endroit bien connu du quartier de la Thibaudière, où depuis plus d’un siècle on loge l’exécuteur aux frais de la ville. L’habitation n’a rien de sordide. Elle est composée d’un bâtiment en rez-de-chaussée comportant hangar, loge, cuisine, chambre, latrines, serres, avec une cour et un jardin clos de mur. (2)
La nouvelle s’est propagée dans tout le faubourg : Antoine Benoit et sa femme (3) ont été assassinés. Arrivé le premier, maître Gros, greffier mandaté par le juge de La Guillotière, s’est fait ouvrir la porte par un serrurier. Bientôt rejoint, vers dix heures, par Jean-Baptiste Fleury, enquêteur et commissaire extraordinaire de la sénéchaussée et siège présidial de Lyon. C’est lui qui, officiellement, a été chargé des premières investigations. Quand il pénètre dans la maison, il aperçoit immédiatement le cadavre d’un homme, étendu dans la cuisine et, dans la chambre voisine, celui d’une femme. A première vue, l’exécuteur a été frappé à la tête et son épouse a eu la gorge tranchée. Toutes les portes des placards sont ouvertes. En poursuivant les recherches, on retrouve disséminés dans le jardin divers objets directement liés au crime : d’abord la barre de fer qu’utilisait le bourreau pour les exécutions. Le lourd ustensile servant à rompre les condamnés est enveloppé dans un linge épais maculé de sang. Plus loin, un couteau à manche de buis, également taché de sang. Et, près de la maison, plusieurs coiffes féminines elles aussi ensanglantées.
Jean-Baptiste Fleury interroge ensuite les voisins susceptibles d’avoir aperçu les assassins du couple Benoit. Leurs témoignages sont assez vagues. Ils ont simplement vu, dans la journée du mardi 18 mai, trois particuliers « lun desquels etoit vetu dune couleur fort brune, quy avoient fait la debauche chez led. Benoit pendant les trois der[ni]eres festes de pentecoste, tant pendant les jours que pendant les nuits, et quil croyoit que led. Benoit et sa femme avoient ete assassinez pendant la nuit du mardy au mercredy dernier.»
François Gilliat, jardinier, quarante-cinq ans, précise que pendant les trois jours qu’ont duré les fêtes de la Pentecôte, « il a vû un particulier qui etoit dans la maison ou logeoit Antoine Benoit, executeur, voisine a celle du deposant, et qui y bu tant les jours que les nuits entierement, ouyt memes quil y avoit deux autres part[iculi]ers chez led. Benoit mais il ne les vit pas.» Sa femme « ayant ouy rire et chanter la nuit [du meurtre]. »
Catherine Peysson, veuve de Pierre Fournier, jardinier de la Guillotière, demeurant quartier de la Madeleine, âgée d’environ soixante-douze ans, témoigne à son tour : « mardy dernier, qui etoit la derniere des festes de pentecoste, elle vit sur les trois heures de relevée led. Benoit qui donnoit des roses aux passants pardessus la muraille de son jardin, vit aussy un part[iculi]er qui etoit avec led. Benoit dans son jardin, et sur la tombée de la nuit elle vit aussy la femme dud. Benoit, et jeudy dernier, le matin, elle ouy dire que led. Benoist et sa femme avoient eté assassinez dans leur maison, et que cetoit trois part[iculi]ers qui auroient bu et mangé chez led. Benoist qui lavoient assassiné. »

C’est maintenant au tour des deux médecins, appelés par le commissaire-enquêteur, d’examiner les corps. Le rapport d’autopsie rendu par Claude Vallant, professeur agrégé au collège de médecine de Lyon, et Jacques Pelletier, chirurgien-juré, mérite d’être publié :
« Estant entrés dans une maison ou logeoit le dit executeur de la haute justice nous avons trouvé son cadavre dans une chambre au rez de chaussée de la cour et du jardin et estendu sur la terre. Lequel apres l’avoir exactement visité nous avons recognu avoir esté blessé sur le costé droit du sommet de la teste d’une maniere que les teguments n’estoient pas seulement separés, mais aussy toute la partie superieure de los parietal droit decouverte, brisée, ouverte et enfoncée, la dite blessure estant de la longueur d’environ trois travers de doigts et autant de largeur, nous avons de plus recognu une autre blessure considerable qui est la machoire inferieure entierement cassée, enfoncée et les dents separées depuis l’angle gauche de la machoire jusques a la symphise du menton lesquelles deux blessures nous paroissent avoir estés faites par une main tres vigoureuse avec un instrument contendant et fort solide comme barre de fer ou autre semblable, nous luy avons de plus recognus deux blessures faites par un instrument pointu et coupant comme un petit couteau ou autre semblable, desquelles la premiere lui perce la joue gauche au dessous du zigoma partie posterieure et l’autre perce le milieu du muscle buccinateur jusques dans l’interieur de la bouche, de toutes lesquelles blessures il est facile de conclure, comme nous le concluons, que la mort du dit maistre Antoine Benoist a bientost esté le produit. De plus nous avons trouvé dans une chambre au mesme rez de chaussée le cadavre de la femme dudit maistre benoist executeur de la haute justice, estendu sur les carreaux la face couverte de sang et l’ayant visité exactement nous luy avons recognu une blessure tres considerable dont louverture environ de trois travers de doigt de largeur est scituée a la partie laterale droite du col immediatement au dessous de l’apophyse mastoide, passe dans la partie anterieure moyenne et interieure du col et vient sortir par une ouverture de la largeur environ d’un poulce du costé gauche du col un peu plus bas que lautre et de mesme au dessus de l’apophyse mastoide gauche, laquelle blessure nous paroit avoir estée faite par un poignard ou autre instrument tres ressemblant, qui a coupé la trachée artere et les vaisseaux sanguins qui se rencontrent dans cette partie, scavoir les carotides arteres externes et les jugulaires venes externes, ce que nous asseurons avoir causé une mort tres prompte en foy de quoy nous avons signés le present rapport. Fait à Lyon le 20e may 1723.»

Ces constatations étant faites, afin d’éviter « l’infection que pourroient causer lesdits deux cadavres » le commissaire Fleury prend des dispositions pour qu’ils soient conduits, sur une charrette, jusqu’au cimetière de la Guillotière. En même temps, il enjoint au curé ou au vicaire de la paroisse de faire procéder, sans tarder, à leur inhumation.

Après avoir rassemblé, en plusieurs paquets, quelques objets appartenant aux victimes, les enquêteurs font fermer les issues de la maison et poser les scellés. Les époux Benoit n’étaient guère aisés, possédant seulement « deux lits à colonnes rondes garnys, celui etant dans la cuisine, dun lit de plume et traversin aussy plume, une couverte laine et deux draps de grosse toile de menage, et lautre lit dune paillasse et dune couverte, et quelques mauvaises garderobes et autres menus effets de bien peu de valeur. »

En l’absence d’informations précises sur l’identité du ou des assassins, le procureur général, tout en requérant la poursuite de l’information, semble avoir rapidement classé l’affaire. Du moins, le dossier de procédure s’arrête le 30 mai 1723, avec une assignation lancée à l’encontre du « particulier dont les témoins ont entendu parler.»

Quatre mois plus tard, l’arrivée de Nicolas Benoit, se déclarant fils unique des époux assassinés, crée une certaine surprise. Savait-on seulement que ces derniers avaient un enfant ? Quant aux motifs de son absence, on comprend vite qu’ils ne sont pas le fait de sa volonté. Il confesse en effet avoir eu le malheur « d’avoir esté aux galeres » dont il a été libéré récemment.
Mais de retour à Lyon, il a trouvé le logement de famille occupé par un autre exécuteur (4). Cet office ne souffrant pas, en principe, d’être trop longtemps vacant. Nicolas Benoit n’a pas perdu que son domicile, il a aussi été spolié d’une grande partie des effets restés chez ses parents. En effet, le successeur de son père – qui ignorait sans doute son existence – a vendu « tout l’ustancile du menage », les couvertures, et même quinze gerbes d’orge et de froment qui se trouvaient dans le grenier. On imagine sa détresse, « estant reduit a la derniere misere n'ayant pas un sol pour pouvoir vivre et ne scachant ou donner de la teste. » Il lui est toutefois permis de récupérer les effets que les enquêteurs ont emportés après le décès de son père.
Le 23 septembre, Nicolas Benoit passe au greffe du palais de justice, place de Roanne, où on lui restitue « toutes les nipes, linges, et autres effets renfermes dans trois paquets, de même que deux chauderons, un bassinoir, deux sacs de bles. » le tout d’une valeur d'environ vingt livres. Ceci fait, on n’entendra plus jamais parler de lui.
Le 1er décembre, Jean Villemot, prêtre, docteur en théologie, curé de la paroisse de Notre Dame de la Guillotière, présente à son tour une réclamation au procureur du roi. Il souhaite qu’on lui rembourse les dépenses qu’il a effectuées pour faire inhumer les époux Benoit, notamment « une somme de six livres donnée à ceux qui ont trainé les cadavres dans la fosse qu'il avait fait préparer exprès par le marguillier. » La justice y consent. Ultime acte de cette dramatique affaire.

L’assassinat du bourreau de Lyon restera définitivement une énigme. Il est certain que la personnalité des victimes – issues de la classe la plus vile de la société – n’a pas encouragé les enquêteurs à un zèle extrême. Mais par qui le crime a-t-il été perpétré ? Visiblement par des hommes qu’Antoine Benoit connaissait (ils ont passé au moins trois jours chez lui). Ce qui limite les recherches à ce cercle professionnel et familial, si particulier, que l’on retrouve uniquement chez les exécuteurs. Le mode opératoire – le bourreau a été assassiné avec la barre de fer lui servant à rouer et « par une main très vigoureuse » – constitue un indice à ne pas négliger. Il serait tentant d’imaginer que ce meurtre a pu être commis par un autre exécuteur. Par vengeance ? jalousie ? cambriolage ? ou tout simplement à la suite d’une querelle qui aurait dégénéré entre individus avinés ? Autant de questions auxquelles ce petit dossier d’une vingtaine de pages ne permet pas de répondre.

Jourdan

(1) Tous mes remerciements à Julien Mathieu, des archives du Rhône, qui a eu l’amabilité de me faciliter l’accès à ces documents.
(2) Jules Drivon, Histoires de bourreaux, Lyon, A. Rey, 1912, p.8.
(3) L’identité précise de l’épouse d’Antoine Benoit n’est pas connue. Les enquêteurs parlent d’une femme « dont nous ne savons pas le nom » et le curé de la Guillotière la désigne, dans son acte de décès, sous la lettre x.
(4) Le successeur d’Antoine Benoit se nommait Jean Lavoué. Il a occupé cet office de 1723 à 1735 environ.
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24 juin 2009

La quadruple exécution d’Hautefaye


Avec le livre de Jean Teulé, sorti récemment (1), un drame atroce sur lequel on a déjà publié plusieurs ouvrages vient de refaire surface, pour le plus grand bonheur des amateurs d’histoires extraordinaires.
Le 16 août 1870, à Hautefaye, petit village situé au nord ouest du département de la Dordogne, un jeune aristocrate périgourdin nommé Alain de Monéys fut, à la suite d’un quiproquo qui entraina une sorte de folie collective, lynché et brûlé vif. Dans l’impossibilité d’établir l’exacte responsabilité des uns et des autres, la justice lança des poursuites contre les principaux meneurs.
Le 21 décembre 1870, la cour d’assises de la Dordogne prononça dix-neuf condamnations, dont quatre à la peine capitale contre Léonard dit Piarrouty, 53 ans, chiffonnier, Pierre Buisson, 33 ans, cultivateur, François Mazière, 29 ans, cultivateur et François Chambord, 33 ans, maréchal ferrant.
Nous sommes alors en pleine guerre de 1870. Paris est assiégé par les prussiens depuis le 18 septembre et le gouvernement provisoire s’est replié sur Bordeaux.
En dépit d’une situation aussi difficile et chaotique, trois avocats, membres du barreau de la Dordogne, tentent d’obtenir la grâce des condamnés : « Le crime d’Hautefaye, en effet, en dehors de sa matérialité même, n’est pas, à ce point, reprochable aux condamnés. Il est le crime de la Foule, dans une heure d’ivresse, avec son ignorance, sa superstition, ses fanatismes, les excitations qui procèdent du bruit et du nombre ; en un mot, avec toutes ses causes d’égarement. » (2)
Peine perdue car le garde des sceaux, Adolphe Crémieux, se montre intraitable : « Considérant qu’après cette condamnation le ministère public a su s’assurer, soit par la déclaration des jurés, soit par l’entremise du préfet et du maire de Périgueux, que le verdict avait été délibéré avec maturité et rendu à l’unanimité, et que l’opinion publique le ratifiait. Considérant qu’à son vif regret il n’a su découvrir de circonstances atténuantes en faveur d’aucun des quatre condamnés. Estime qu’il a lieu de laisser à la justice son libre cours, et rejette les demandes en grâce formulées au nom des condamnés (Bordeaux, 30 janvier 1871). » (3)
Au ministère de la justice, à Bordeaux, on se préoccupe à présent de faire exécuter la sentence. Un décret tout récent (4) vient justement de modifier l’exercice de la peine capitale, supprimant l’échafaud, les exécuteurs régionaux, et ne maintenant qu’un exécuteur en chef et cinq adjoints à Paris. Mais ce décret qui, en principe, devait entrer en application le 1er janvier 1871, n’a pas encore pu être mis en œuvre en raison de la guerre et du siège de la capitale. Aucune équipe centrale n’a encore été constituée et, dans un tel contexte, il est inimaginable de songer à faire venir la guillotine et l’exécuteur de la cour d’appel de Paris.
C’est donc à l’ancien exécuteur de Bordeaux, Charles-Henri Desmorest, que le ministère de la justice demande de procéder à l’exécution. Il se fera assister par trois adjoints venus des départements voisins.
Le 4 février, à 19h40, le préfet de la Dordogne adresse une dépêche au garde des sceaux pour tenter de reporter l’exécution : « Ne pourrait-on surseoir à l’exécution d’Hautefaye ? N’y aura-t-il donc aucune grâce.» (5). Sans réponse, il expédie une nouvelle demande à 20h20 : « Il est nécessaire de surseoir à l’exécution d’Hautefaye qui aurait en ce moment le caractère d’une exécution politique.» (6) En retour, on lui télégraphie que le garde des sceaux est parti depuis la veille au soir pour Paris; en son absence, ses deux dépêches ont été communiquées à Léon Gambetta, lequel a répondu que « le conseil a délibéré et que l’exécution doit avoir lieu sans aucune grâce et sans aucun sursis.»

Le lendemain, à huit heures du soir, Charles Desmorest est à la prison de Périgueux où il vient prendre possession des quatre condamnés. Un omnibus les attend dans la cour intérieure. Les prisonniers s’y installent, suivis par deux prêtres et par l’exécuteur. Une escorte de gendarmes à cheval les accompagne. Il faudra plusieurs heures pour parcourir la distance entre Périgueux et Hautefaye, estimée à 57 kilomètres. A minuit, on relaye une première fois à Brantôme puis, trois heures plus tard, à Mareuil.
Le 6 février, à cinq heures, le cortège arrive enfin à destination. La guillotine a été dressée devant la halle du village. Un détachement de deux-cents hommes d’infanterie, arrivé la veille, a été chargé d’assurer la sécurité. C’est beaucoup pour l’assistance qui ne dépasse guère une centaine de personnes. Trois heures s’écoulent durant lesquelles les quatre condamnés, enfermés dans une chambre à proximité de l’échafaud, se prêtent aux derniers préparatifs. A 8h25, Léonard dit Piarrouty est exécuté, puis Buisson, Mazière et Chambord. A 8h30 les quatre exécuteurs viennent d’achever leur dernière exécution. (7)
Le jour même, à Bordeaux, l’avocat général Jorant rend compte au garde des sceaux : « Vous m’avez prescrit de faire exécuter immédiatement l’arrêt de condamnation. L’absence de l’exécuteur des hautes œuvres, la nécessité de prendre de nombreuses mesures destinées à concilier les droits de l’humanité avec les rigueurs extrêmes de la justice, la distance considérable qui existe entre Bordeaux et Hautefaye, ont exigé un certain délai pour l’accomplissement de vos ordres. On ne pouvait songer à faire procéder à l’exécution le dimanche. J’ai indiqué le lundi 6 février, à la première heure du jour. Une dépêche télégraphique m’apprend que les 4 condamnés ont cessé de vivre, ce matin à 8h et demie. » (7)

Deux jours plus tard, les élections du 8 février amèneront une majorité monarchiste à l’assemblée et, le 17 février, Crémieux démissionnera de son poste de ministre de la justice.

(1) Jean Teulé, Mangez-le si vous voulez, Paris, Julliard, 2009.
(2) Archives Nationales, BB/24/2037, dossier : 6688 S70, pièce 2.
(3) idem, pièce 3.
(4) le décret est du 25 novembre 1870.
(5) Archives Nationales, BB/24/2037, dossier : 6688 S70, pièce 4.
(6) idem, pièce 5.
(7) L’Echo de la Dordogne, 7 février 1871.
(8) Archives Nationales, BB/24/2037, dossier : 6688 S70, pièce 7.


23 juin 2009

Le bourreau de Versailles en 1821


Nous ne quittons pas Versailles sans publier un document particulièrement critique sur Germain Benoit, éphémère exécuteur de 1819 à 1821. Il fut destitué et remplacé par Laurent Reine.

"Police de Versailles

Rapport particulier du 2 [novem]bre 1821

Monsieur le Maire, J'ai l'honneur de vous prévenir qu'après en avoir communiqué avec M. le Procureur du Roi, j'ai fait citer au Tribunal de police le n[omm]é Benoit, exécuteur des jugements criminels, pour avoir laissé pendant qu'il était à se gorger lui et ses acolytes dans un cabaret voisin, l'échafaud et tous ses accessoires sur la voye (sic) publique deux heures après l'exécution, et d'avoir négligé de faire disparaître le sang répandu sur le pavé (1).
Cet exécuteur tient la plus infâme conduite, ivrogne fieffé, audacieux, criblé de dettes, j'ai été souvent dans le cas de le tancer vigoureusement, mais toujours sans succès; c'est un homme vautré dans la fange, qui se targue et tire vanité de la condition dans laquelle il se trouve placé; dans toutes les exécutions, il affecte une gaieté qui soulève l'indignation du public. Mardi dernier, pour conduire le cadavre du patient au cimetière, lui et ses valets se sont assis en ricanant sur le coffre placé sur la voiture où ce cadavre était renfermé ainsi que des cannibales autour de leurs victimes. La cupidité de cet exécuteur lui fait commettre des actes inouïs, il s'est persuadé que toutes les hardes d'un malheureux patient lui appartenaient; ainsi, lorsqu'il est appellé (sic) à la prison pour s'en saisir, il a soin de visiter tous ses vêtements, notamment la chemise, car si elle lui paraît de quelque valeur et pour n'être point obligé de la fendre par derrière, il la lui ôte impitoyablement de dessus le corps, sans même avoir égard à la saison, en fait une ceinture au patient, afin de l'emporter après l'exécution avec plus de facilité.
Avant de terminer ce rapport, je dois vous citer un trait, qui sans doute excitera toute votre indignation, qu'on ne saurait même croire s'il n'avait été public. J'ai dit que cet exécuteur faisait parade de ses fonctions et qu'il affectait la plus froide insensibilité; pour en donner la preuve, comme c'est un jour de bombance chaque exécution pour lui et ses valets, il imagina de faire cuire au four une tête de veau pour s'en régaler et cette tête fut apportée publiquement au cabaret du Sr Theon, place de la Mairie. (2)

Le Com[missaire] de police,
Ville"

(1) A propos de l'exécution de Jean-Guillaume Fouin, garde-champêtre, guillotiné à Versailles le 30 octobre 1821, à midi.
(2) Albert Terrade, Les bois de justice à Versailles, Versailles Illustré n°92, novembre 1903, pp. 94-95.
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22 juin 2009

Les jugements de la Prévôté de l'Hôtel


Pour compléter notre article précédent, voici quelques précisions sur la Prévôté de l'Hôtel du Roi. Cette juridiction était chargée de la surveillance des maisons et des jardins royaux. Elle avait à sa tête le prévôt de l'Hôtel du roi ou grand prévôt (les deux charges ont fusionné en 1578), qui était chargé de la sécurité et de la police de la Cour. Il était assisté, pour la police, d'une compagnie militaire, les gardes de la prévôté de l'Hôtel et, pour les affaires judiciaires, de maîtres des requêtes de l'hôtel, de deux lieutenants généraux, d'un procureur du roi, d'un greffier en chef, de notaires, d'huissiers et de procureurs. Cette institution disposait de deux sièges, l'un à Paris, au Louvre, et l'autre à Versailles. Le bourreau de Versailles était aussi l'exécuteur de la prévôté.
En parcourant les archives, on peut mesurer combien les jugements de la Prévôté de l'Hôtel, qui étaient sans appel, étaient d'une grande sévérité à l'égard de tous délits commis au château de Versailles. Quelques exemples :
28 novembre 1752 : Jugement souverain rendu en la Prévôté de l'Hôtel du Roi qui condamne Jean-Baptiste Guillot, compagnon maçon, et Jacques Dubuisson, manœuvre, à être pendus dans la principale place du marché de Versailles pour avoir volé du plomb dans le parc de Sa Majesté. Les deux condamnés ont été exécutés le 2 décembre 1752; (1)
5 décembre 1752 : Jugement de la même juridiction qui condamne Jacques Chatelar, frotteur, à être pendu dans la principale place du marché de la ville de Versailles pour avoir fait différents vols dans le château de Sa Majesté à Versailles. Le condamné a été exécuté le 7 décembre 1752. (2)
5 décembre 1752 : Jugement de la même juridiction qui condamne Antoine Chersat dit lechat, chaudronnier, et Marguerite Chenu, sa femme, à être pendus et étranglés dans la principale place du marché de Versailles pour avoir recelé et acheté les plombs volés dans le parc de Sa Majesté à Versailles. Les condamnés ont été exécutés le 9 décembre 1752. (3)
Cinq exécutions en une semaine, le bourreau de Versailles était loin d'être inactif.
2 mars 1757 : Jugement de la même juridiction qui condamne Pierre Viervalle dit Lapierre, domestique, à être pendu dans la principale place du marché de Versailles pour avoir fait différents vols dans la garde-robe du roi à Versailles. Le condamné a été exécuté le 2 mars 1757. (4)

(1) Archives Nationales, AD III 8, pièce 55.
(2) idem, pièce 56.
(3) idem, pièce 57.
(4) idem, pièce 231.


21 juin 2009

Emotion d'échafaud à Versailles en 1789


Pendant toute la seconde moitié du XVIIIème siècle plusieurs Sanson ont été titulaires de l’office de bourreau de Versailles et de la prévôté de l’Hôtel du Roi. Nicolas-Charles-Gabriel, fils de l’exécuteur de Paris, occupa ces fonctions de 1749 à 1778, après lui Charles-Henri, son neveu, de 1778 à 1788, puis Louis-Cyr-Charlemagne, un autre de ces neveux demi frère du précédent, de 1788 à 1794. Pendant la révolution, ce dernier inaugura l’une des premières machines à décapiter fabriquées en France. Il eut aussi à affronter une émotion d’échafaud, comme il s’en produisit plusieurs au début des troubles révolutionnaires.
Le 26 juillet 1789, un sieur Wagner, épicier au coin de la rue Saint-Médéric, à Versailles, fut frappé d’un coup de couteau par son fils et en mourut le lendemain. Le meurtrier, ouvrier serrurier, fut arrêté très rapidement et jugé le 4 août par la prévôté de l’Hôtel du Roi. On sait comment pouvait parfois être expéditive cette juridiction, chargée de tous les crimes et délits commis dans les résidences royales. D’autant qu’au criminel, ses jugements étaient sans appel. Wagner fils fut condamné « à faire amende honorable devant l’église Notre-Dame, avec un écriteau portant le mot "parricide" ; puis à être conduit à la place du marché de Versailles pour y être rompu vif, mis ensuite sur la roue, puis son corps brûlé et ses cendres jetées au vent. »
Le 11 août, le condamné fut amené dans l’enclos de la geôle de la chambre criminelle de la prévôté où il entendit la lecture de son jugement. Après s’être confessé il fut remis aux mains de l’exécuteur. Dehors, on le fit grimper dans un tombereau qui le conduisit d’abord à l’église Notre-Dame. Là, selon un cérémonial très précis, en chemise, la corde au cou, il fit amende honorable. Ce jour là, à cause de l’affluence excessive qu’on prévoyait sur l’esplanade du marché, lieu habituel des exécutions, et « qu’il y avait quelque danger de feu », on avait dressé l’échafaud sur la place du grand Montreuil. Arrivé au lieu du supplice, Wagner descendit de la charrette et monta sur la plateforme pour y subir sa peine. Il n’était pas encore lié sur la croix de Saint-André qu’un immense mouvement de révolte se produisit parmi la foule. Des centaines de voix crièrent : « grâce ! grâce ! » Presque aussitôt la garde fut bousculée, le bourreau chassé et le condamné délivré. Il disparut dans la mêlée. Les émeutiers firent un grand feu de joie en brûlant sur place l’échafaud et le tombereau de l’exécuteur. On ne retrouva jamais l’évadé. Cette émotion d’échafaud, loin d’être spontanée, avait été préparée et dirigée, paraît-il, par la corporation des ouvriers serruriers, fort importante dans la ville. (1)
A peu de distance de là, au château de Versailles, la monarchie française vivait ses derniers jours.

(1) M. Jeandel, La justice à Versailles, Mémoires de la Société des sciences morales des lettres et des arts de Seine-et-Oise, Versailles, 1861, p. cxv.

19 juin 2009

19 mai 1879 : l’exécution de Laprade à Agen


Il y a cent-trente ans, le 19 mai 1879 à 5 heures, Jean Laprade, vingt ans, condamné à mort pour parricide, était guillotiné sur la place du pin à Agen.

En 1878, Allemans (1), petit village de 664 habitants, sur la rive gauche du Dropt, en Aquitaine, avait été le théâtre d’un horrible drame. Le dimanche 10 novembre, dans une maison isolée au lieu dit « La carrière », Jean Laprade (2), vingt ans à peine, à l’occasion d’une violente colère dont il était coutumier, avait massacré toute sa famille. Son père, sa mère et sa grand-mère. Les abattant avec un fusil puis s’acharnant sur leurs corps à coups de crosse, de serpe et de couteau. Le 6 mars 1879, le jeune homme avait été condamné à la peine capitale (3).

A Paris, à la suite du décès de Nicolas Roch, un nouvel exécuteur en chef venait d’être désigné le 15 mai 1879 : le sieur Deibler Louis-Antoine-Stanislas, adjoint depuis 1871. En même temps que sa nomination, le bureau des affaires criminelles l’informa qu’il aurait à exécuter Laprade le lundi suivant, au matin. Sans plus tarder, Deibler fit prévenir ses trois adjoints, Aimé Etienne, Edouard Desfourneaux et Alphonse Berger, en compagnie desquels il quitta Paris, en chemin de fer, dans la soirée du 17 mai.
Le lundi 19 mai, avant l’aube, les bois de justice étaient dressés sur la place du pin, à Agen. Quelque trois-cents soldats d’infanterie de ligne et sept brigades de gendarmerie assuraient le maintien de l’ordre, formant un carré autour duquel cinq ou six mille spectateurs se pressaient. Les journalistes découvraient le nouvel exécuteur : « un homme de taille moyenne, boiteux, voûté, blond, d'une corpulence plutôt faible que forte. Il porte la barbe en fer à cheval » et ses aides : « deux seulement sont hauts et vigoureux; le troisième est petit et grêle. » (4)

A la prison, quand Deibler entra dans la cellule du condamné, ce dernier eut un mouvement de refus : «Ne m'approchez pas, ne me touchez pas.» Tandis qu’on apportait un tabouret pour le faire asseoir, pour procéder à la toilette, les adjoints sortirent de leurs poches des cordelettes pour l’attacher. « Ne m'attachez pas, s'écria-t-il, je ne veux pas, je ne veux pas mourir, je suis innocent, je veux écrire, laissez-moi écrire. » Comme Laprade était d’une force herculéenne et que l’exécuteur et ses aides n’arrivaient pas à le maintenir, quatre gardiens furent appelés en renfort. Une lutte s’engagea alors entre ces huit hommes et le condamné qui refusait obstinément de s’asseoir et de se laisser attacher « Je suis innocent s'écria-t-il je ne veux pas mourir. » Avec toutes les peines du monde ils parvinrent à le coucher sur le dos, à lui passer une camisole de force et à lui lier les jambes. Mais Laprade opposait toujours une très vive résistance. « Je ne veux pas vous faire du mal, dit l’un des aides, seulement, laissez vous faire. » « Je vais souffrir, hurla Laprade j'en ai assez de souffrances comme ça; je ne veux plus souffrir. » se débattant de nouveau. « A quoi cela vous avance-t-il de faire le méchant ? Nous serons bien maîtres de vous » fit observer Deibler. « C'est terrible, continuait Laprade, que vous fassiez cela envers moi. Je ne veux faire du mal à personne. Laissez-moi libre. » En même temps, il avait réussi à se défaire des liens qui lui entravaient les jambes et résistait à coups de pieds aux aides qui voulaient l’obliger à s’asseoir.
A cet instant, comme on le forçait à se coucher face contre terre, sa tête heurta violemment le pavé de la cellule. Le journal La Constitution affirmera qu’un gardien l’avait pris par les cheveux et lui avait cogné la tête contre les dalles. Certaines rumeurs attribueront même à Deibler ce mauvais geste. On verra plus loin qu’il n’en est rien (5).
Enfin vaincu, le prisonnier consentit à se laisser faire. L’aide Berger lui coupa le col de sa chemise. « Il est pénible, dit alors un gardien, d'user de pareils moyens pour vous faire rester tranquille. » « C'est bien plus pénible pour moi que pour vous » lui répliqua Laprade qui n'avait pas perdu un seul instant sa lucidité d'esprit. « Oui, ajouta-t-il, c'est très pénible. » Interpellant un des aides, il ajouta « On dirait qu'il vous semble que ce n'est pas pénible? Je voudrai bien vous voir à ma place! »

Le directeur de la prison centrale ayant déclaré qu'il fallait enlever au condamné la camisole de force, Deibler lui répondit qu'il fournirait une déclaration attestant que, dans ces circonstances, son utilisation avait été indispensable. Dans l'arrêt on avait précisé que le condamné – en tant que parricide – serait conduit au supplice en chemise, les pieds nus et recouvert d’un voile noir. Les aides de l’exécuteur lui retirèrent ses bottines, jetèrent un peignoir blanc sur ses épaules et lui nouèrent sur la tête un crêpe qui descendait jusqu'aux genoux. « C’est pénible, c’est pénible » continuait de répéter le prisonnier. « Pourquoi aussi avez-vous voulu vous révolter ? lui demanda Berger, il n’est guère dans nos habitudes d’agir ainsi envers les condamnés. Vous faîtes le méchant, vous feriez mieux de montrer un peu de repentir. »
Il était cinq heures moins le quart. La lutte avait duré près d’une demi-heure.
Avant de sortir, Deibler voulu savoir si le condamné souhaitait marcher ou s’il fallait qu’on le porte : « Je marcherai » répondit Laprade.
Dans la cour, on le fit monter dans le fourgon, accompagné par deux prêtres (6) et les aides de l’exécuteur. Escorté par un piquet de gendarmes, le convoi se mit en marche, au pas, par le Cours Plate-forme, le Cours Trénac et le Cours du Pin.
Arrivé près de la guillotine, on lui retira son voile noir. Un huissier lu l’arrêt de condamnation. Après avoir embrassé un crucifix que lui présentait l’abbé Faure et répété encore « je suis innocent », Jean Laprade fut poussé sur la bascule et amené sous le couperet. Comme il tordait le cou dans la lunette, un adjoint lui redressa la tête. Deibler laissa alors tomber le couteau. Toute la guillotine fut éclaboussée de sang. La lame avait tranché le crâne à la base de l’occiput et des maxillaires.

Quelques jours plus tard, certains journaux ayant relaté cette exécution en évoquant la « brutalité » des exécuteurs, le Garde des Sceaux demanda des éclaircissements. Le procureur général Paul Aubert lui répondit, le 24 mai 1879 : « On a lu dans La Constitution que Laprade avait été l'objet de violences. Ces allégations sont inexactes en ce qui concerne les violences et mauvais traitement. Il a résisté. Il a fallu s'en rendre maître, lui attacher les jambes et les bras. Il s'est laissé conduire d'abord jusqu'à la voiture, c'est-à-dire traverser le corridor de la prison et ensuite sur 15 ou 20 pas de la voiture à l'échafaud. » (7)
S. Roch

(1) Depuis 1896 cette commune du Lot-et-Garonne a ajouté « du Dropt » à son nom.
(2) Jean Laprade est né le 5 novembre 1858 à Allemans, de François Laprade et d’Elisabeth Chaumès.
(3) Dès cette époque, cette affaire a fait l’objet de nombreuses publications : Affaire Laprade. Cour d'assises de Lot et Garonne. Session du 1er trimestre 1879. Triple parricide d'Allemans, Acte d'accusation, Montauban, Impr. de Macabiau-Vidallet, 1878. Affaire Laprade, Le triple parricide d'Allemans-du-Drop, Carcassonne, Impr. P. Polère, 1879. Cour d'assises du Lot et Garonne, Le triple parricide d'Allemans-du-Drop, Affaire Laprade, Bordeaux, impr. de Bord, 1879. Laprade, le parricide condamné à la peine de mort par la cour d'assises de Lot-et-Garonne séant à Agen, Orléans, Impr. Masson, 1881.
(4) La Presse du 22 mai 1879
(5) Cette exécution est relatée, entre autres, dans La constitution, Le journal du Lot-et-Garonne, Le journal d’Agen.
(6) Le condamné était assisté de l’abbé d’Arlan de Lamothe, aumônier des prisons, et l’abbé Faure, aumônier du lycée.
(7) Archives Nationales, BB/24/2047



18 juin 2009

Querelle de famille


Dans l’édition du Petit Parisien du vendredi 23 janvier 1880, en page trois, sous le titre Querelle de famille, on pouvait lire ce communiqué :
« Nous recevons la lettre suivante, que nous reproduisons textuellement :

Paris, ce 21 janvier 1880
Citoyen Rédacteur,
M. Berger, aide-exécuteur de première classe et gendre de M. Roch, ex exécuteur décédé, me prie de vous demander, ne pouvant le faire en son nom personnel, que vous adressiez par la voie de votre journal, pourquoi M. Deibler, exécuteur, n’a pas prévenu M. Berger, son aide de première classe de l’exécution de Prévost.
Pourquoi et de quel droit n’a-t-il pas été prévenu, par conséquent n’a pu y assister, contrairement à ce qu’ont annoncé divers journaux qui ont cité son nom plusieurs fois. M. Roch fils, aide de troisième classe, n’a pas été prévenu non plus.
De quoi cela dépend-il ? Est-ce jalousie ?
Enfin, citoyen, comptant sur vous pour adresser cette question à qui de droit, et cela dans les termes qui conviendront.
L.C. »

Amusé, le journal s’était contenté d’ajouter en guise de commentaire : Décidément, voilà des gens qui sont à couperet tiré !

On ignore qui est ce mystérieux L.C. qui signe cette lettre. Par contre, Berger (1) est bien à cette époque adjoint de première classe à l’exécuteur en chef, Louis Deibler. En dépit des multiples informations plus ou moins fantaisistes que la presse de cette fin du XIXème siècle aimait à colporter sur le bourreau et ses aides, l’article paraît authentique.
Pour les connaisseurs de la vie judiciaire d’alors, la rivalité entre Berger et Deibler n’était pas une surprise. Elle remontait au printemps 1879, époque à laquelle le ministère de la justice avait désigné Louis Deibler pour succéder à Nicolas Roch, exécuteur en chef, qui venait de décéder. Contre toute attente, alors que la logique aurait voulu qu’Alphonse Léon Berger, gendre du défunt, soit nommé à sa place, on lui avait préféré un autre adjoint, Louis Deibler, encore totalement inconnu. En guise de consolation, Berger avait été promu adjoint de première classe le 4 juillet suivant.
Dans ces conditions, il est évident que l’entente entre les deux hommes était loin d’être parfaite. Nonobstant, Berger fut choisi pour accompagner Deibler lors des deux premières exécutions que celui-ci fit en qualité d’exécuteur en chef. La première eut lieu à Agen (Lot-et-Garonne) le 19 mai 1879 (exécution de Jean Laprade) et la seconde à Saint-Rambert (Loire) le 10 septembre 1879 (exécution de Jean Chambes). Par contre, lorsqu’il fut question d’aller exécuter Théotime Prunier, à Beauvais (Oise), le 13 novembre 1879, Deibler préféra se faire accompagner par Charles Ganié, Edouard Desfourneaux et Adolphe Deville (2).
Le lundi 19 janvier 1880, la première prestation parisienne du nouvel exécuteur fut un événement suivi par toute la presse nationale. Le condamné était un ancien militaire nommé Victor Prévost. Ce jour là, comme à Beauvais, Deibler ne fit pas appel à Berger qui, si l’on en croit l’article cité plus haut, ne fut même pas prévenu. On comprend qu’il en ait conçu du dépit. Ce qui est certain, c’est que ce petit billet ne semble pas avoir favorisé le réchauffement des relations entre Monsieur de Paris et son adjoint. Pendant les vingt dernières années de sa carrière Alphonse Berger ne fut plus jamais convoqué pour participer aux exécutions effectuées hors de Paris et les Deibler, père et fils, ne manquèrent jamais l’occasion de signaler à l’administration son « manque de sérieux ».

(1) Alphonse-Léon Berger (1841-1906) fils de Pierre-Martin, bourreau de Perpignan, et de Marie-Eléonore Vermeille. Marié, en 1867, avec Virginie Desmorest, fille du bourreau de Carpentras et remarié, en 1875, avec Olympe-Marie Roch, fille de Nicolas, exécuteur en chef des arrêts criminels.
(2) Adolphe-Désiré Deville nommé adjoint de 2e classe à Paris, le 4 juillet 1879, était un ami de Louis Deibler, avec qui il avait été adjoint en Algérie.


17 juin 2009

17 juin 1939 : la dernière exécution capitale en public


Il y a soixante-dix ans, le 17 juin 1939 à 4h 30, Eugène Weidmann, trente-et-un ans, condamné à mort pour l'assassinat de six personnes, était guillotiné devant la prison de Versailles.

La décapitation du jeune Allemand, par Henri Desfourneaux, exécuteur en chef des arrêts criminels, assisté de ses adjoints André Obrecht, Georges Martin et Henri Sabin dit Fernand, devait être la dernière exécution en public qui eut lieu en France. Edouard Daladier, le président du Conseil d'alors, signait en effet quelques jours plus tard un décret mettant fin aux exécutions publiques. Les derniers moments de ce dandy séduisant, qui avait reçu dans sa cellule plusieurs lettres de femmes lui proposant de l'épouser, auraient provoqué, selon la presse de l'époque, des « scènes d’hystérie »; on ira même jusqu'à prétendre que certaines spectatrices auraient trempé leur mouchoir dans le sang du supplicié qui maculait le pavé.
La veille de l'exécution, tout était pourtant calme à la prison Saint-Pierre de Versailles, raconte André Obrecht, dans un livre de mémoires posthumes paru sous la signature de Jean Ker (1). Le condamné, qui venait d'apprendre que son pourvoi en grâce venait d'être rejeté par le président Albert Lebrun, s'entretenait avec Maître Renée Jardin (2), l'un de ses avocats. Il relisait aussi L'imitation de Jésus-Christ en soignant les deux chats qu'il avait eu l'autorisation de garder avec lui.
Dehors, les autorités judiciaires étaient assaillies de demandes de laissez-passer pour assister au supplice. Dès 23 h, les premiers curieux commençaient à arriver car on avait eu vent de l'imminence de l'exécution. Quelque trois-cents versaillais ou parisiens se pressaient derrière les barrières. La guillotine, venue par le train, était montée à 2 h 50. Le nouveau « Monsieur de Paris » (3), avait soigné sa mise : pardessus et chapeau mou, barbiche blanche soigneusement taillée.
L'exécution, prévue à 3 h 50, n'eut finalement lieu qu'à 4 h 30, une discussion s'élevant entre Desfourneaux et le procureur général de Versailles sur la question de l'heure solaire et de l'heure légale.
En quelques secondes – douze selon les journaux de l'époque – Eugène Weidmann, soutenu depuis la porte de la prison par les aides Georges Martin et Henri Sabin, fut allongé sur la bascule. Le couperet de sept kilos, lâché par Desfourneaux, tomba et le corps fut aussitôt basculé dans le panier. Bien que les policiers aient fait la chasse aux photographes, cachés dans les arbres ou derrière les fenêtres des appartements voisins, toute une série de clichés fut réalisée ainsi que plusieurs films. Quelques jours plus tard, Match publiera un reportage photo de l'exécution (4). On y voyait André Obrecht, en manteau sombre, feutre gris à ruban noir, trois pas en arrière de la Veuve pour ne pas être éclaboussé par le sang du condamné. On reconnaissait aussi Georges Martin, tête nue, et Henri Sabin, un béret vissé sur la tête, encadrant Weidmann portant une chemise blanche largement échancrée.
Les photos firent le tour du monde. L'image de la France, à quelques mois de la guerre, fut ternie. Et les adversaires de la peine de la mort relancèrent la campagne abolitionniste. Pour André Obrecht, les « scènes d'hystérie » se limitèrent en fait à quelques bousculades, cris ou sifflets.
Du coup, le décret d'Edouard Daladier, stipulant que les exécutions devraient désormais se dérouler à l'intérieur des prisons, fit tomber un argument des défenseurs de la peine de mort : l'exemplarité. Les dizaines d'exécutions capitales (résistants, « terroristes algériens » criminels célèbres ou inconnus, et même trois femmes) des quarante années suivantes se déroulèrent désormais dans la cour intérieure des prisons. En présence de quelques personnes seulement : le bourreau et ses trois aides, le directeur de la prison, les avocats des condamnés, le procureur de la République.

S. Roch

(1) Jean Ker (propos recueillis par), Le carnet noir du bourreau, Mémoires d'André Obrecht, Paris, Gérard de Villiers, 1989.
(2) Renée Jardin Birnie a publié chez Gallimard, en 1968, des textes inédits d'Eugène Weidmann sous le titre Le Cahier rouge d'Eugène Weidmann.
(3) Jules-Henri Desfourneaux, succédant à Anatole Deibler, avait été nommé à ce poste trois mois auparavant, le 15 mars 1939. C’était la troisième exécution capitale, en tant qu’exécuteur en chef, qu’il effectuait.
(4) Match n°51 du 22 juin 1939.