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On connait l'intérêt d'Alexandre Dumas pour l'univers du bourreau – fascination diront certains – qu'il a mis en scène dans une partie de son œuvre (Les Trois Mousquetaires, Vingt ans après, La Reine Margot, Le Comte de Monte-Cristo). On connait moins sa quête d'informations sur ce sujet qui, en diverses occasions, l'a amené à côtoyer d'authentiques exécuteurs. Dans ses Causeries (1) il raconte sa visite au bourreau de Paris, au début du règne de Louis-Philippe, à la recherche de renseignements historiques. Sur ses pas, c'est l'occasion pour nous de pénétrer chez les Sanson." Plusieurs historiens avaient raconté qu'au moment de monter à l'échafaud, Louis XVI s'était débattu entre les mains des aides. Cela me semblait tellement en opposition avec la couleur générale de sa mort, avec la résignation de son testament, que, ne m'en rapportant point à la lettre écrite, le surlendemain de l'exécution, par le père Sanson, à l'Assemblée nationale, je résolus, vers 1832 ou 1833, de me présenter chez l'exécuteur sous un prétexte quelconque, et de le questionner moi-même.
Le prétexte fut bientôt trouvé. Les exécuteurs ont toujours certains remèdes contre certaines maladies, sans compter le remède souverain qu'ils ont contre la vie. Aussi, en Allemagne, appelle-t-on généralement les bourreaux docteurs. – Il est vrai qu'en France, on appelle assez généralement les médecins bourreaux.
Sanson vendait de la pommade pour les rhumatismes. Cette pommade, selon la légende populaire, se fait avec de la graisse de mort.
Je me présentai chez M. Sanson (2) à huit heures du soir. Il demeurait rue des Marais, n° 71 (3).
Je demandai à parler à M. Sanson ; on me conduisit à lui.
Je savais que lui n'avait jamais exécuté ; seulement, il était présent, se tenait au pied de l'échafaud, tandis qu'un de ses quatre aides faisait la besogne.
Depuis 1820, son fils Clément-Henri (4) exécutait. La première exécution qu'il avait faite, c'était à Beauvais, chez son beau-frère, Charles-Constant Desmarets (5), mort aujourd'hui, et qui avait dans sa vie ce terrible souvenir d'avoir exécuté Georges Cadoudal et ses onze complices.
J'avoue que j'étais assez embarrassé pour entamer la négociation.
Le père Sanson, homme de soixante-trois ans, à peu près, à figure douce, mélancolique et vénérable me reçut debout et le sourire sur les lèvres.
Ce sourire voulait dire : "Vous êtes un curieux, je le vois bien ; que puis-je faire pour satisfaire votre curiosité ? "
Je pris mon prétexte.
— Monsieur, lui dis-je, un de mes parents est atteint de rhumatismes, et j'ai recours à vous. On lui a recommandé votre pommade comme étant souveraine ; je viens vous en demander un pot.
Sanson ouvrit une armoire, en tira un pot et me le donna.
— Combien? demandai-je.
— C'est selon : votre parent est-il pauvre ou riche ?
— Pourquoi cela ?
— S'il est pauvre, ce n'est rien ; s'il est riche, c'est ce que vous voudrez.
Je lui donnai dix francs.
— Est-ce tout ce que vous désirez? me demanda-t-il. A mon tour, je le regardai en souriant.
— Non, lui dis-je, je désirerais encore autre chose ; mais, cette autre chose, je n'ose pas vous la demander.
— Parlez.
— Franchement, vous me permettez, n'est-ce pas ?... Puis je ne suis pas tout le monde.
— Je ne vous demande pas qui vous êtes ; mais si vous voulez me dire votre nom...
— Je suis l'auteur d'Henri III, de Christine et d'Antony.
— Ah ! monsieur Dumas ! Quel dommage que mon fils ne soit pas là ; c'est un rude claqueur, allez ! il se ferait plutôt écharper que de manquer une de vos premières... Au reste, il est peut-être rentré ; attendez. Il ouvrit la porte et cria :
— Henri ! Henri !
Une voix répondit :
— Il n'est pas rentré.
— Ah ! par exemple, ce sera un désespoir... Enfin !... Eh bien, vous disiez que vous désiriez quelque chose, monsieur Dumas ?
— Vous savez combien les auteurs dramatiques ont besoin de renseignements précis, monsieur Sanson. Il se peut qu'il arrive un moment où j'aie à mettre Louis XVI en scène. Qu'y a-t-il de vrai dans la lutte qui s'engagea entre lui et les aides de votre père, au pied de l'échafaud ?
— Oh ! je puis vous le dire, monsieur, j'y étais.
— Je le sais, et c'est pour cela que je m'adresse à vous.
— Eh bien, voici : le roi avait été conduit à l'échafaud dans son propre carrosse et avait les mains libres.
Au pied de l'échafaud, on pensa qu'il fallait lui lier les mains, moins parce qu'on craignait qu'il ne se défendît que parce que, dans un mouvement involontaire, il pouvait entraver son supplice ou le rendre plus douloureux. Un des aides attendait donc avec une corde, tandis qu'un autre lui disait : " Il est nécessaire de vous lier les mains. " A cette proposition inattendue, à la vue inopinée de cette corde, Louis XVI eut un mouvement de répulsion involontaire. " Jamais ! s'écria-t-il, jamais ! " Et il repoussa l'homme qui tenait la corde. Les trois autres aides, croyant à une lutte, s'élancèrent vivement. De là le moment de confusion interprété à leur manière par les historiens. Alors, mon père s'approcha, et, du ton le plus respectueux : " Avec un mouchoir, sire " dit-il. A ce mot sire, qu'il, n'avait pas entendu depuis si longtemps, Louis XVI tressaillit ; et, comme au même moment son confesseur lui adressait quelques mots du carrosse : " Eh bien, soit ; encore cela, mon Dieu ! " dit-il. Et il tendit les mains.
— Est-ce que l'échafaud est toujours le même? Demandai-je à Sanson.
— Non, me dit-il, il a été renouvelé; mais la guillotine, l'ancienne, celle qui a servi à Louis XVI, à Marie-Antoinette, à madame Élisabeth et à la princesse de Lamballe est dans notre musée.
— Vous avez donc un musée? demandai-je.
— Oui, voulez-vous le voir ?
— Je crois bien !
— Venez, alors.
Il prit une bougie et marcha devant moi. Autant que je puis me le rappeler, après vingt-cinq ans, nous montâmes quelques marches et entrâmes, à droite, dans une espèce de galerie. Là, en effet, était le musée terrible. Au premier rang, appuyés contre la muraille, les deux portants rouges, et, entre eux, le couperet rouillé. Au pied des portants, la bascule démontée et les deux paniers : celui qui reçoit la tête, et celui qui reçoit le corps.
Après cette sombre relique venait, comme importance, l'épée qui avait décapité, Lally-Tollendal. M. Sanson, voyant ma curiosité, prit cette épée et me la mit entre les mains. C'était une longue rapière dont la lame avait près de quatre pieds de long ; sa forme était espagnole : sans doute la lame faisait partie de ces fers précieux que l'on trempait dans le Tage ; la garde, tout en fer, comme la poignée, était composée de quatre tiges de fer recourbées de manière à couvrir la main, tandis que la sous-garde, faite en manière d'écumoire, était perforée de petites étoiles dans la concavité desquelles s'engageait l'épée de l'adversaire.
Puis il y avait tout un arsenal de haches, de doloires, de tranche-têtes de toutes façons.
Je vis un peu tout cela, comme dans un songe, à la lueur d'une bougie dont la flamme tremblante faisait trembler les objets qu'elle éclairait. […]
Maintenant, comment cette guillotine — que j'ai vue démontée en 1833, dans le musée Sanson, à Paris, — comment cette guillotine se trouve-t-elle remontée, en 1857, dans le musée Tussaud, à Londres? Je vais vous expliquer cela. Comme nous l'avait dit son père, Clément-Henri Sanson était un grand coureur de spectacles et de bals. Il était à toutes les premières représentations ; il ne manquait pas un bal. Vous croyez qu'il en avait le droit. Point. M. de Paris n'a pas de droits; il n'a que des devoirs.
Nous avons dit que le père Sanson n'avait jamais exécuté et que le fils exécutait depuis 1820.
Pendant la nuit du mardi gras de l'an 1836, une exécution fut décidée. C'était celle de Fieschi.
Lorsqu'une exécution est décidée pour le lendemain, — que le pourvoi en cassation et le pourvoi en grâce sont rejetés, — le ministre de la justice envoie au procureur général l'ordre d'exécution : le parquet alors fait prévenir l'exécuteur en lui envoyant, par un garçon de bureau, l'ordre d'exécution; et un autre ordre pour que le directeur de la prison lui remette le condamné.
Le parquet prévient également l'aumônier de la prison, la gendarmerie et la police.
Il avait donc été décidé, dans la soirée du mardi gras, que Fieschi serait exécuté le lendemain.
A minuit, le garçon de bureau sonnait à la porte de la rue des Marais, n° 71.
Le père Sanson était à la campagne. Le fils n'était pas chez lui.
L'ordre était urgent; le lendemain, à sept heures du matin, Fieschi, Pépin et Moret devaient avoir cessé de vivre. Pas d'exécuteurs ! Les domestiques, troublés, disaient qu'ils ne croyaient pas que leur maître rentrât Ie lendemain avant sept ou huit heures du matin. Le garçon de bureau courut à la police. On prévint M. Canler, chef de la brigade de sûreté, que M. Sanson ne se trouvait pas.
Il s'agissait, quelque part qu'il fût, de retrouver M. Sanson. Canler se rendit à la maison de la rue des Marais, interrogea les domestiques, mais il n'en tira rien. Il eut une illumination. Il connaissait un bal où, selon lui, M. Sanson devait être. C'était un bal masqué, — un bal; rien que de Turcs. On se rendit au bal, on garda les issues, et on entra dans la salle, où l'on fit démasquer tous les danseurs. Canler ne s'était pas trompé. M. de Paris fut prévenu à temps ; Fieschi, Pépin et Moret furent exécutés à l'heure dite ; mais il n'y en eut pas moins un mauvais rapport adressé à qui de droit sur M. de Paris.
Deux ou trois faits du même genre s'étant succédé, Clément-Henri Sanson fut forcé de donner sa démission en février 1847 (6).
Il n'avait d'autre fortune que sa place, les meubles de sa maison et les curiosités de son musée.
Les épées, — celle qui avait tranché la tête de Lally-Tollendal surtout, — les haches, les coutelas se vendirent facilement. Mais la guillotine n'était pas d'un placement commode on la fit offrir au musée d'artillerie. Le directeur la refusa. Enfin, Sanson la proposa à madame Tussaud, qui ne fit pas la petite bouche, sauta dessus, et la racheta le prix que le grand-père Sanson l'avait rachetée lui même après l'exécution de Marie-Antoinette : cinq mille cinq cents francs. "
(1) Alexandre Dumas, Causeries, deuxième série, Paris, M. Lévy frères, 1860, pp. 129-139.
(2) Henry Sanson (1767-1840) exécuteur de Paris de 1795 à 1840.
(3) Il habitait en réalité 31bis rue des Marais (aujourd'hui à hauteur du 52 rue de Lancry à Paris 10e), C'était une petite rue qui reliait les rues du Faubourg-du-Temple et du Faubourg-Saint-Martin. A cette adresse, les Sanson n’étaient plus que locataires, ayant dû vendre leur maison en 1825. Elle fut démolie en mars 1865 lors du percement du boulevard Magenta.
(4) Henry-Clément Sanson (1799-1889) a succédé à son père en 1840 mais, dès 1819, le remplaçait occasionnellement puis, à partir de 1837, effectuait une grande partie du travail.
(5) Charles-Henri-Constant Desmorest exécuteur de Beauvais vers 1813-1849. Il était marié à Marie-Marguerite Lebébure, sœur de Virginie-Emilie, l’épouse d’Henry-Clément Sanson.
(6) Henry-Clément Sanson est surtout connu pour ses goûts originaux et sa vie dispendieuse. Passionné par le jeu autant que par le spectacle, il avait contracté de nombreuses dettes. Ses créanciers le firent arrêter et, pour pouvoir recouvrir la liberté, non seulement il dut vendre ses biens mais laissa en gage la guillotine. Le ministère de la justice en fut informé. Il paya les dettes de Sanson, récupéra la machine, et le révoqua le 18 mars 1847. Il est décédé à Versailles en 1889.
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Alexandre Dumas rend visite au bourreau de Paris, M. Sanson.
RépondreSupprimerIl y a une erreur de réponse de Sanson lors d'une question de Dumas
— Est-ce que l'échafaud est toujours le même? Demandai-je à Sanson.
-Non, me dit-il, il a été renouvelé; mais la guillotine, l'ancienne, celle qui a servi à Louis XVI, à Marie-Antoinette, à madame Élisabeth et à la princesse de Lamballe est dans notre musée.
Le problème est que la princesse de l'amballe n'a pas été guillotinée comme les trois autres, elle a été massacrée par la foule et sa tête mise sur une pique et montrait à la reine.