Il y a cent ans, le 22 septembre 1909, à 6 heures, les trois principaux membres de la bande des « chauffeurs de la Drôme » étaient guillotinés devant la prison de Valence.
Entre 1905 et 1908 ces bandits ont terrorisé les environs de Valence et de Romans, commettant de nombreux vols et assassinant près d’une vingtaine de personnes. Condamnés à mort le 10 juillet 1909, Pierre-Augustin-Louis Berruyer, 36 ans, cordonnier à Romans, Urbain-Célestin Liottard, 46 ans, manœuvre à Romans et Octave-Louis David, 36 ans, cordonnier à Tournon, attendent leur exécution à la prison de Valence.
Le lundi 20 septembre, le président Fallières ayant décidé de laisser la justice suivre son cours, l’exécuteur Anatole Deibler se prépare. Il convoque ses trois adjoints, Rogis, Deschamps et Desfourneaux, inspecte puis charge les bois de justice dans leur fourgon, rue de la Folie-Regnault. A 19h35, le chariot attelé à un cheval noir – qui n’est pas le célèbre « Fend l’air » connu des initiés – quitte le hangar, empruntant la rue de la Roquette et l’avenue Ledru-Rollin pour se rendre à la gare de Lyon. Là, il est hissé sur un wagon plat (portant le n°3710 F) et rattaché à un convoi qui doit quitter Paris à minuit cinquante-cinq.
De leur côté, les bourreaux sont partis par le rapide de 22h55.
Mardi 21 septembre, à 9h47, Deibler débarque en gare de Valence, accueilli par une foule silencieuse de curieux. Sans s’attarder, avec ses aides il prend place dans un omnibus tiré par deux chevaux qui les conduit à l’hôtel de la Tête d’or où, comme à la gare, quatre cents personnes se sont massées pour les apercevoir. A 11h30 l’exécuteur se rend au palais de justice pour s’entretenir avec le procureur. Il en ressort vers midi, passe ensuite à la gendarmerie, puis va déjeuner.
En accord avec les autorités, il a été décidé que la guillotine sera montée devant la prison, avenue de Chabeuil, à trois ou quatre mètres de l’entrée principale.
Dès l’annonce de l’exécution, de toutes parts de très nombreux curieux ont convergé vers Valence. La ville est sillonnée par une foule bruyante et bigarrée. On chante, on s’interpelle, on commente les derniers événements. Une chaleur lourde s’est abattue sur la vallée du Rhône, un gros orage se prépare. Vers 21h30, les premiers éclairs illuminent le ciel, tandis que les grondements du tonnerre se font entendre. Brusquement, la pluie se met à tomber avec une grande violence. Le public se disperse, trouvant refuge dans les cafés du centre ou dans le faubourg Saint-Jacques. Vers 23h le service d’ordre se met en place. Il est composé de trois-cents hommes du 75e régiment d’infanterie venus de Romans, de soldats du 6e régiment d’artillerie et d’un détachement du 13e chasseurs à cheval. La troupe a été renforcée par des gendarmes à pied et à cheval des brigades de Valence et des environs. Sous l’averse, les militaires se déploient devant la porte de la prison, dégageant un assez large périmètre. Des barrages sont établis rue Amblant, avenue de Chabeuil et jusqu’à la rue Servan. Une ambulance militaire a même été installée dans les jardins potagers, en face de la maison d’arrêt. Le général Radiguet puis le commissaire central de police Comte inspectent, tour à tour, le dispositif.
Mercredi 22 septembre, vers trois heures, Deibler et ses adjoints vont prendre possession du fourgon des bois de justice arrivé à la gare des marchandises par le train de messagerie de 2h46. On y attelle rapidement un cheval et le convoi prend aussitôt la direction de la prison, suivi par de très nombreux curieux.
Dès que le barrage est franchi, les aides de l’exécuteur disposent sur le sol plusieurs grosses lanternes, tournées vers le mur d’enceinte, puis, sans bruit, descendent pièce par pièce tous les éléments de la guillotine. Sous les ordres de l’exécuteur en chef, qui veille au moindre détail, le montage commence immédiatement. Les deux bras de la machine sont dressés sur les pavés détrempés, au milieu des flaques d’eau, à cheval sur les rails du tramway qui longe l’avenue de Chabeuil. Après plus d’une heure de travail, Deibler procède aux dernières vérifications. Le mouton chute parfaitement. Il est prêt à opérer.
L’aube est lente à venir. Vers cinq heures la pluie cesse enfin. Le procureur Henri Roux, les avocats, les magistrats du parquet, l’exécuteur et ses aides pénètrent dans la prison. Berruryer dort encore. On le réveille. Il éclate en récriminations violentes, reprochant au procureur son manque de loyauté, affirmant qu’il était le moins coupable, qu’il espérait la grâce, qu’il méritait les travaux forcés mais pas ça… Puis, il se calme, demande des cigarettes et accepte le verre de cognac que lui tend le docteur Magnanon. Dans la cellule voisine, Liottard s’est déjà habillé. Il est assis sur son lit et semble résigné. David, lui, se manifeste bruyamment comme pour marquer son indifférence et sa détermination. Il demande du papier pour écrire à sa femme, fume cigarette sur cigarette, absorbe un café puis deux verres de cognac. Tandis qu’on l’entraîne vers le greffe, il entonne l’air de Faust « Salut, ô mon dernier matin ! ». Et quand l’exécuteur adjoint découpe le col de sa chemine il ricane encore : « Ce n’était pas la peine de me mettre une chemise si chic pour la couper ». Enfin, après un bref entretien avec son avocat, maître Jugie, il lui remet une lettre pour son épouse et un dessin à la plume représentant deux femmes, sous lequel il a écrit : « Inachevé par la faute de Deibler qui est venu avant ma convocation. C’est un indélicat ! » Les deux autres condamnés ont accepté de s’entretenir avec un prêtre et de communier.
Peu avant six heures, la porte de la prison s’ouvre brusquement. La foule pousse des cris de satisfaction. Combien sont-ils pour assister à cette triple exécution ? Mille-cinq-cents ? Deux-mille ? Il y a du monde à toutes les fenêtres, sur tous les toits. Quelques enfants ont même réussi à se hisser dans un arbre, à quelques mètres du lieu du supplice. La troupe met sabre au clair et fusil sur l’épaule. Le procureur, ses deux substituts, le préfet, le gardien chef, les avocats des condamnés, Deibler et Desfourneaux paraissent d’abord. La plupart des spectateurs se découvrent tandis que l’exécuteur principal et son aide viennent se positionner de part et d’autre des bois de justice. Les bourreaux sont tous habillés de costumes noirs et coiffés de chapeaux melons.
Puis arrive Berruryer, solidement encadré par les adjoints Deschamps et Rogis. Il est de taille moyenne, trapu et vigoureux, le visage bordé d’un collier de barbe, vêtu d’une chemise blanche largement échancrée. Les entraves qu’il a aux pieds gênent sa marche. On l’entend balbutier : « Monsieur le Procureur… mes enfants ! » Déjà il est plaqué contre la bascule, soulevé, poussé sous la lunette. L'exécuteur laisse tomber le couteau. Il est 5h59. Des applaudissements et des vivats se font entendre. Le sang a giclé sur la machine. Deibler l’essuie avec une éponge. Après s’être lavé les mains dans un sceau d’eau il tire un mouchoir de sa poche pour se sécher les doigts.
Pendant ce temps, Deschamps et Rogis sont retournés dans la prison. L’attente semble interminable. Les voici entourant David. La foule crie et applaudit. Grand, le regard vif, extrêmement pâle, le condamné a laissé pousser barbe et moustache en prison. Une cigarette éteinte aux lèvres, il s’avance vêtu d’un pantalon gris, chaussé de chaussettes ou de chaussons rouges, une veste de velours marron jetée sur ses épaules. Il lance aux aides qui le pressent : « Pas si vite, pas si vite ! Vous voulez m’essouffler, nom de Dieu ! » Et lorsqu’on le fait marcher dans une flaque de boue il plaisante : « Mais je vais m’enrhumer ! » Puis il lance à la foule : « Salut mes enfants, salut ! » A l’aumônier qui tente de l’exhorter : « Bon ! Bon ! Ca va bien ! Une autre fois. A cet été, on boira un verre sur la glace » La cigarette n’a pas quitté ses lèvres et au moment où on le tourne vers la guillotine il fanfaronne encore : « Allons y pour la butte ! » De lui-même il se jette sur la bascule et si brutalement que son cou est mal engagé dans la lunette. Deibler a pressé trop vite le déclic. La tête de David est coupée au niveau du menton, une partie de sa barbe adhère encore à l’échancrure. Il est 6H01. L’assistance applaudit. Le corps est basculé dans le panier mais tombe assis, un instant on peut voir le cou tranché et sanglant. L’exécuteur se précipite pour fermer le couvercle.
La guillotine, rougie de sang, est à peine nettoyée, le couteau remonté, qu’on amène Liottard. Il jette des regards effarés sur la foule. Comme ses deux complices il porte la barbe. Au moment où on le couche sur la planche, il résiste et se débat. Il faut le maintenir avant de pouvoir le pousser sous la lunette. Le couteau d’abat dans un bruit sourd. Il est 6h03. Une salve d’applaudissements ponctue cette troisième et dernière exécution.
Le panier qui contient les trois suppliciés est monté avec peine dans le fourgon. Il ne faut pas moins de six personnes – dont les quatre bourreaux – pour le soulever. Pendant qu’on emporte les corps vers le cimetière, la guillotine est lavée et démontée. Dans l'après midi Deibler et ses adjoints reprendront le train 62 pour Paris.
De toutes les exécutions publiques qui eurent lieu en France, celle des chauffeurs de la Drôme est de loin celle dont on a conservé le plus de photographies. Soit un peu plus d’une douzaine. Malgré un temps maussade et des instructions formelles du ministère de la justice (1), un certain nombre d’opérateurs s’étaient déplacés pour immortaliser l’événement. Perchés sur des échelles doubles, postés aux fenêtres des immeubles voisins, installés dans les jardins ou contre le mur de la prison, ils parvinrent à prendre différents clichés de l’exécution. On connait plus particulièrement ceux réalisés par Eugène Vieux, du Journal de Tournon, Roméas de Miraval, agent général des Champagnes Ehel à Valence, et un éditeur de Grenoble. Plusieurs de ces photographies furent même publiées en cartes postales et connurent un grand succès. Il semblerait en outre qu’un film ait été tourné. C’est qui ressort d’articles de presse rapportant que cette captation cinématographique allait être projetée dans une salle de Valence.
(1) Une note du 18 septembre 1909 stipulait : "On s’opposera de manière absolue à ce qu’il soit fait usage d’appareil photographique ou cinématographique ou de tout autre moyen de reproduction de la scène de l’exécution et on retirera les appareils aux personnes admises à pénétrer sur l’emplacement. "
Je connaissais les photos de cette exécution mais je ne connaissais pas les détails de son déroulement. Merci pour cette passionnante évocation
RépondreSupprimerCe très intéressant blog était en sommeil depuis trop longtemps et j'en guettais chaque jour la suite.
RépondreSupprimerMerci pour ce travail de recherche formidable.
Y a t-il un endroit pour vous contacter sur le blog?
Carnifex, (du forum "guillotine" de Sylvain L.)
Merci Carnifex pour vos encouragements. Les vacances se sont prolongées... ce n'est pas la matière qui nous manque mais plutôt le temps pour rédiger les articles ou approfondir certaines questions.
RépondreSupprimerOn peut nous joindre directement par mail : BCI.Paris@free.fr