2 octobre 2009

Emotion d'échafaud à Castres en 1632


Au début de l'année 1632, le corps du notaire Louis Roustan fut retrouvé près de Revel, en Languedoc. Il avait été assassiné par les frères Jean et Isaac Portal, ses voisins, avec lesquels il était en mauvais termes. Jean réussit à s'enfuir mais Isaac fut arrêté et conduit à Castres, dans les prisons de la Tour-Caudière, sur les bords de l'Agout. Jugé par la Chambre de l'Edit – une Cour de justice spécialisée dans les affaires impliquant les protestants – il fut condamné, malgré ses dénégations, à avoir la tête tranchée.
Le 15 juin 1632, vers trois heures de l'après midi, le juge de Castres réglait les derniers détails du dispositif mis en place pour procéder, incessamment, à l'accomplissement de l'exécution. Non sans difficultés, puisqu'un seul sergent avait répondu à ses convocations. Les autres avaient préféré s'éclipser. On avait fait venir l’exécuteur de Revel, Jean Gouvedin. Appelé auprès du magistrat qui souhaitait savoir si l’échafaud était solidement dressé, il répondit par l’affirmative, assurant qu’il avait l’habitude des exécutions de ce genre. Cependant, ceux qui étaient venu le chercher lui avaient dit qu’il s’agissait de pendre le condamné. Or, en arrivant à Castres, il avait appris qu’Isaac Portal serait traité en gentilhomme et, par conséquent, aurait la tête tranchée. Le bourreau tout en rassurant le juge sur ses capacités, l’informa qu’il venait d’acheter, aux frais des parties, un excellent couteau de boucher. Finalement, après avoir juré d’accomplir son devoir jusqu’au bout, il s’empara du condamné et lui lia les mains derrière le dos. Le juge, le procureur du roi et le greffier étant montés à cheval, le cortège, précédé par l’unique sergent, se mit en marche à travers les rues de Castres, se dirigeant vers la porte de l’Albinque, où l’échafaud avait été dressé.

Arrivé sur les lieux du supplice où se pressaient de nombreux curieux, le juge rappela les motifs de la condamnation et les aveux du condamné, puis fit signe au bourreau de procéder à l’exécution. Gouvedin hissa Portal sur la plateforme, lui banda les yeux et lui plaça la tête sur le billot. Un pasteur récita le Credo. L’exécuteur semblait hésiter. Le magistrat s’avança alors près de l’échafaud pour l’admonester, lui ordonnant d’accomplir son office sans plus tarder. Gouvedin abattit le coutelas. Mais, soit par manque d’assurance, soit à cause d’un mouvement brusque du patient, ou tout simplement impressionné par les cris hostiles de la foule, il manqua son coup. La lame dévia et Portal ne fut que blessé. Le très long procès verbal de la suite des événements, rédigé par le juge lui-même, nous plonge dans les horribles détails de cette exécution ratée : « ... Et comme ledit Gouvedin n'avoit point attaché ledit Portal à l'échafaud, ains seulement lié ses mains par derrière, iceluy se seroit souslevé et auroit sorti sa tète de dessus le bloqueau sur lequel icelle estoit appuyée pour estre coupée plus facilement, et le corps se seroit renversé sur les aix du dit échafaud, et au lieu que, auparavant, son visage regardent la terre, il l'avoit lors tourné du costé de la porte de l'Albinque. Nonobstant quoi, ledit Gouvedin, sans remettre ledit corps en sa première posture ni la tête sur le bloqueau, auroit réitéré ses coups par plusieurs fois, jusques à la scier avec le couteau. Voyant qu'il ne la pouvoit couper, il l'auroit prise par les cheveux, et, en lui tordant le col et la tirant, fait effort de la séparer du corps. A cause de quoi et de la multiplicité des coups ainsi donnés, partie des assistans, en nombre de mille ou douze cents environ, se seroit mise à crier : Vilain! Meschant! Massacreur! Il le faut tuer! Tire à l'occasion! Desquels cris et du bruit que faisoient les coups que ledit exécuteur donnoit au condamné, le cheval que nous montions se seroit cabré et jeté à l'écart. Lequel ayant ramené et revenus près de l'échafaud nous aurions vu ledit exécuteur au bas de l'échelle, tête nue, le couteau en sa main et des habits en l'autre, s'enfuyant parce que (comme on nous l'a dit après) quelques-uns des assistants lui auroient jeté des pierres après qu'il eut séparé la tête du corps du condamné. Lequel exécuteur, nous et ledit Raymond, procureur du roy, aurions appelé à grands cris et commandé de venir près de nous. Mais, sans répondre, il auroit continué sa fuite, pendant laquelle on lui auroit tiré plusieurs coups de pierres quelques défenses et empêchements que nous ayons su y apporter. Desquels coups, il auroit été porté à terre et assommé si promptement que nous n'aurions pu arriver à temps pour le garantir, quoique nous nous soyons mis en devoir d'y accourir, ce que nous n'avons pu faire cependant à cause de la foule, et aussi parce que entre ledit échafaud et le champ du sieur Poncet où il avoit fui, il y avoit un fossé qui les séparoit, lequel les chevaux n'auroient voulu franchir. Ayant suivi le chemin pour arriver au dit champ, nous aurions vu ledit Gouvedin à terre et plusieurs personnes lui tirant des pierres.
Estant descendus de cheval, serions entrés dans le dit champ pour voir l'estat du dit Gouvedin et aurions trouvé iceluy étendu la face contre terre, tout sanglant de sa tête et plusieurs pierres dessus lui et autour de lui auprès duquel il y avoit un grand monceau de pierres de reste des démolitions des fortifications; étant le dit corps entouré d'un grand nombre de personnes le regardant, auprès desquelles nous nous serions informés des auteurs du dit excès; ce que les assistans nous auraient dit ne savoir pour avoir été fait en foule. Ce fait, aurions commandé au dit Tournier, sergent, de faire venir Jean Murat, écorcheur de bestes, un nommé Trente Arencades, portefaix, et un autre, Jean Joulié, qu'on nous auroit dit avoir tout le jour hanté, fréquenté et bu avec ledit Gouvedin, afin de lui jeter de l'eau dessus pour le faire revenir et le tourner pour pouvoir examiner ses plaies; car tous les assistans refusoient de ce faire. Lequel Tournier auroit été longtemps sans nous apporter aucune nouvelle. Enfin Arnaud Mirepoix, hoste de la présente ville, nous auroit mené, de nostre mandement, ledit Murat, lequel ayant tourné ledit Gouvedin, nous aurions reconnu qu'il estoit mort. Ce fait, aurions commandé au dit Ricard, notre greffier, de nous faire venir un chirurgien pour visiter le dit Gouvedin et rapporter l'estat de ses plaies; lequel, après, seroit revenu et nous auroit dit qu'ayant trouvé dans la foule Jean Peravy, chirurgien, et lui ayant fait part de notre mandement, il se seroit mis en fuite. A cause de quoi, nous aurions résolu de faire porter le corps du dit Gouvedin dans la maison destinée aux exécuteurs de la présente ville et commandé au dit Murat d'aller chercher les dit Arencades et Joulié pour apporter le corps dans la dit maison, afin qu'il pût plus aisément estre visité et après enterré. (Et, ce fait, à la réquisition du procureur du roy aurions ordonné de mesurer la distance qu'il y a de l'échafaud jusques au lieu où le dit Gouvedin avoit esté étendu mort : il s'est trouvé quarante-deux pas de distance.) Mais, voyant que ledit Murat ne revenait point, nous serions entrés dans ladite ville en la compagnie du dit procureur du roy et serions nous-même allé trouver le dit Trente Arencades dans sa maison pour lui ordonner d'assister ledit Murat à porter ledit corps dans la dite maison. A quoi ledit Trente Arencades n'auroit jamais voulu obéir, quelques injonctions et commandements que nous lui aurions su faire; ains se seroit couché à terre assisté de sa femme qui se couchoit contre lui, disant qu'on les tuast. Voyant, par ce moyen, l'impossibilité de faire enlever ce corps, aurions mené ledit Murat au dit lieu pour commencer à faire la fosse pendant le temps que nous travaillerions à avoir des chirurgiens pour le faire visiter... » (1)

On finit cependant par obtenir des deux hommes de l'art qu’ils procèdent au constat du meurtre du bourreau. L'écorcheur pu ensuite inhumer son cadavre. Quant aux consuls de Castres, en accord avec le juge et le Parlement, ils prirent la résolution de poursuivre les auteurs de cette lapidation et de les faire condamner à mort. La dépouille d’Isaac Portal fut rendue à sa famille. En partie seulement. La justice avait ordonné que la tête resterait plantée sur l'échafaud pendant un certain temps et sous bonne garde. L’arrêt de condamnation stipulait qu’elle serait ensuite placée sur la plus haute tour du lieu où le crime avait été commis « pour y demeurer jusqu'à estre consummée ».

(1) Charles Pradel, Deux exécutions capitales au dix-septième siècle, Mémoires de l'Académie royale des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse, Tome III, 1881, pp. 116-121.

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