15 octobre 2009

Les pénitents de Limoges font évader un condamné à mort


Au XVIIIème siècle, dans un certain nombre de villes de France, une tradition bien établie permettait à des confréries de pénitents d'assister aux exécutions et de procéder à l'inhumation des suppliciés. Mais la mission de ces hommes aux visages dissimulés sous des cagoules, admis auprès des échafauds, allait parfois au-delà de la simple charité. C'est ainsi qu'à Limoges les Pénitents Pourpres, de concert avec les amis d'un condamné, parvinrent à l'escamoter et à l'aider à s'enfuir au moment de son exécution.

L'histoire se situe à la fin de l'année 1742 ou dans les premiers mois de 1743. Un milicien nommé Michel Pascault avait déserté son régiment pour se réfugier dans une cachette qu'il croyait sûre. Retrouvé par un archer, il tua celui-ci en tentant de lui résister. Arrêté cette fois pour ce crime, il fut jugé et condamné à être pendu. L'affaire enflamma les Limougeauds. Une partie de la population inclinait en faveur de Pascault, pensant, à tort ou à raison, que les modalités de son arrestation et de son jugement n'étaient pas "régulières". On disait que l'archer chargé de l'arrêter avait, auparavant, accepté de l'argent du déserteur ou de sa famille contre promesse de ne pas l'inquiéter. De surcroît, la sentence n'avait pas été prononcée par un tribunal ordinaire mais, en raison des circonstances particulières de ce crime, directement par l'intendant du Limousin. L'opinion publique était surexcitée à tel point que les écoliers de Limoges conçurent le projet de faire échouer l'exécution. Les Pénitents de la ville acceptèrent de les aider.
Le jour où le bourreau vint prendre possession du condamné, le plan qu'ils avaient élaboré se déroula parfaitement. Secrètement, la corde de la potence avait été sciée en partie ou, d'après la tradition, frottée au vitriol. Si bien que quand l'exécuteur y eut attaché Pascault, elle se rompit sous le poids de celui-ci. Tombé à terre, le condamné fut immédiatement entouré par les Pénitents qui se tenaient en nombre au pied de la potence. Tandis que les écoliers, disséminés parmi l'assistance, faisaient diversion, les hommes en rouge firent promptement disparaître le supplicié sous un déguisement qu'ils avaient préparé. Le public compatissant ne fit rien pour s'opposer à sa fuite.

Que devint Michel Pascault ? Quelles furent les sanctions prisent à l'encontre des instigateurs et des complices de cette évasion qui eut, on l'imagine, un certain retentissement ? Nous n'avons retrouvé aucun document qui nous renseigne. Cependant, le Parlement de Bordeaux jugea cette affaire suffisamment grave pour prendre un arrêté, le 3 avril 1743, instituant des mesures de rétorsion à l'égard de toutes les confréries de Pénitents située dans l'étendue de sa juridiction. En voici le texte (1) :

ARREST de la Cour du Parlement, qui fait très expresses inhibitions et défenses à tous Pénitents rouges et blancs et autres de quelque couleur qu'ils soient ou puissent être, d'assister en habits de Pénitens ni en corps de confrérie aux exécutions des condamnez à mort, sous quelque prétexte que ce puisse être, à peine de trois cens livres d'amende, etc.
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(Du 3 avril 1743)

Ce jour, le Procureur Général du Roy est entré et a dit : Qu'il est informé que, par un usage établi dans plusieurs Villes et Lieux du Ressort de la Cour, certaines espèces de Confréries, qu'on appelle des Pénitens, dont les uns sont distinguez par Pénitens Blancs, les autres Pénitens Gris, Rouges, Bleus, et autres couleurs, assistent en corps de Confrérie aux exécutions des condamnez à mort, sous prétexte de prendre ensuite le soin de l'inhumation du cadavre du supplicié, et de faire dire des prières. Que cet usage, qui paroît avoir la piété pour principe, est sujet à de très grands inconvéniens, puisque, sous l'Habit dont ces prétendus Pénitens ont la précaution de se revestir dans ces sortes d'occasions, et qui les empêche d'être reconnus de personne, il seroit aisé d'attrouper et aposter des gens armez et mal intentionnez, qui enlèveraient à force ouverte, à la Justice, ceux qu'elle auroit jugés dignes du dernier suplice. Qu'on vient même d'éprouver tout récemment, dans la Ville de Limoges, l'abus de la charité des Pénitens Rouges de cette ville, dont le Corps de Confrérie s'étoit assemblé pour assister à l'exécution du nommé Michel Pascault, condamné à mort pour un meurtre dont la connoissance avoit été attribuée à M. le Commissaire départi de la Province du Limousin; la corde à laquelle ce condamné étoit suspendu ayant cassée, et le patient tombé par terre, ces Pénitens Rouges s'étoient jettez sur lui, aussi bien que sur l'Exécuteur, et, avec le secours de la populace, qui s'étoit émue en cette occasion, ils étoient venus à bout d'arracher le coupable des mains de la Justice et de le garantir du suplice auquel il avoit été condamné. Que comme l'on peut et doit craindre ailleurs des pareils événemens si le même usage de l'assistance des Pénitens y avoit lieu, il paroît de la prudence et de la sagesse de la Cour de les prévenir en faisant des défenses à tous Pénitens Rouges ou autres, de quelque couleur qu'ils soient, dans toutes les Villes et Lieux du Ressort de la Cour, d'assister aux exécutions des condamnez à mort en habit de Pénitent, ni en Corps de Confrérie, etc., etc.
LA COUR, faisant droit de la Réquisition du Procureur Général du Roy, fait très expresses inhibitions et défenses à tous Pénitens Rouges et Blancs, et autres de quelque couleur qu'ils soient ou puissent être, dans toutes les Villes, Bourgs et autres Lieux du Ressort de la Cour, d'assister en Habits de Pénitens, ni en Corps de Confrérie, aux exécutions des condamnez à mort, qui se feront dans lesd. Villes et Lieux, sous quelque prétexte que ce puisse être, à peine de 300 livres d'amende contre chacun des contrevenans, applicable aux Hôpitaux des Lieux, ou les plus prochains, même de punition exemplaire si le cas y échéoit ; pour raison de quoi, en cas de contravention au présent Arrêt., il sera informé, à la requête et diligence des Substituts dudit Procureur Général, devant les Juges Royaux des Lieux, même par les Officiers des Haut-Justiciers dans les Justices Seigneuriales, pour, les informations faites, aud. Procureur Général du Roy communiquées et à la Cour rapportées, être statué ce qu'il appartiendra : Enjoint auxdits Substituts dans les Bailliages, Sénéchaussées et autres Juridictions Royales, même aux Officiers des Justices Seigneuriales, et aux Maires, Jurats, Echevins, Consuls et autres Officiers Municipaux du Ressort de la Cour, de tenir, chacun en droit soi, la main à l'exécution du présent Arrêt, etc. — Fait à Bordeaux, en Parlement, le trois avril 1743.

Cet enlèvement d'un supplicié sur les lieux de son exécution n'est pas unique. On peut citer d'autres cas dans différentes villes de France. Ainsi, le 22 avril 1772, à Montpellier, les Pénitents Blancs tentèrent de répéter l’évasion de Limoges. Le supplicié – un sergent-fourrier du régiment d’Aquitaine – allait être pendu quand un Frère trouva le moyen de couper la corde. Le condamné tomba à terre et les pénitents s’avancèrent pour le secourir. Cependant ils en furent empêchés par l’aide-major de la place. Le pendu, qui respirait encore, fut porté à l’église Saint-Denis où il expira (2).

Les Pénitents Pourpres de Limoges, quant à eux, furent obligés de s'abstenir de paraître aux supplices. Menacée de suppression après avoir été complice d'un acte de rébellion aussi grave, la compagnie – qui jouissait d'une forte popularité – continua néanmoins à subsister. Quelques années après, le Présidial toléra la présence de quelques confrères aux côtés des condamnés à mort mais n'autorisant le rassemblement de toute la confrérie qu'une fois l'exécution terminée. Quarante ans plus tard, les Pénitents Pourpres avaient repris dans toute sa plénitude l'exercice de leur principale mission, sauf qu'il ne leur était permis – qu'exceptionnellement – d'escorter en corps le condamné dans le trajet de la prison à l'échafaud (3).

(1) Bibliothèque de Limoges, LIM B6145/21 (Arrêt imprimé à Bordeaux, chez J.-B. Lacornée, imprimeur du Parlement et de l'Hôtel de ville, rue Saint-James).
(2) Jules Delalain, Les Pénitents blancs et les Pénitents bleus de la ville de Montpellier. Leurs origines. Leur histoire. Leurs règles, Montpellier, J. Martel aîné, 1874, pp. 56-57.
(3) Louis Guibert, Les confréries de pénitents en France et notamment dans le diocèse de Limoges, Bulletin de la Société Archéologique et Historique du Limousin, tome 27, Limoges, imprimerie Chapoulaud Frères, 1879, pp. 130-133.


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