7 octobre 2009

Le bourreau d’Angers en 1784


Originaires de Touraine, les Filliaux ont principalement exercé le métier de bourreau au Mans, pendant tout le XVIIIème siècle. Ils habitaient la bourgade de Coulaines, au Nord de cette ville, sur la rive gauche de la Sarthe.
Jacques Filliaux, né à Coulaines le 28 novembre 1743, obtint l’office d’exécuteur de la sénéchaussée et siège présidial d’Angers, en 1771, succédant à Jean-Baptiste Charpentier. D’abord marié à la veuve de son prédécesseur, qui lui donna un fils, il se remaria ensuite avec Marie-Françoise Ganié, fille du bourreau de Nantes, dont il eut douze enfants.
Suite à l’arrêt du Conseil du roi, du 3 juin 1775, qui supprimait le droit de havage dans toutes les villes du royaume, le bourreau d’Angers fut brutalement privé d’une grande partie de ses ressources. Alors qu’auparavant il touchait environ 5500 livres par an, il ne reçut plus qu’un traitement provisoire de 2000 livres. Comme les exécutions ne lui rapportaient que 240 livres, l’ensemble de ses revenus fut ainsi réduit de moitié. Sa nombreuse famille, qui s’accroissait d’un enfant tous les ans (1), les maladies et autres dépenses essentielles, le contraignirent à accumuler les dettes. En 1784, sa condition était devenue extrêmement précaire et ses créanciers le menaçaient de poursuites. Jacques Filliaux envoya un mémoire au Contrôleur Général, lui exposant sa situation. On demanda des renseignements sur cet exécuteur et, à la fin de l’année, le subdélégué d’Angers fit parvenir la réponse que nous reproduisons ci-dessous (2) :

« A Angers, le 30 décembre 1784

Monsieur,

J'ai pris des éclaircissements sur l’exposé du placet ci-joint de l’exécuteur des hautes justices de cette ville et de la province d’Anjou par lequel il représente l’état fâcheux de sa situation par rapport à ses dettes et que ses appointements ne sont pas suffisants pour le faire vivre, lui et sa nombreuse famille. Les détails dans lesquels je suis entré à ce sujet m'ont fait connoître avec certitude que son ménage est composé de onze personnes, savoir lui et sa femme, un neveu et une belle-fille (3) et sept enfants dont l’aîné des garçons n'a que 14 ans (4) et la fille aînée 13 ans (5). La subsistance et les vêtements nécessaires à fournir à tant de personnes ne peuvent que lui être très dispendieuses relativement à la cherté considérable des vivres de toute espèce et au renchérissement que cette cherté a occasionné dans tous les autres objets de nécessité. Quoiqu'il soit logé dans un quartier retiré de cette ville (6) et où les logements sont le moins coûteux, son loyer est cependant de 300 livres. Il est aussi obligé de fournir à la Fête-Dieu des bouquets travaillés avec art à MM. le lieutenant criminel, le procureur du roi et le greffier de la sénéchaussée d’Angers. Ces objets lui coûtent 150 livres par an et c'est un marché fait. Cette dépense m'a paru d’abord inutile et susceptible d’être retranchée de ses obligations, mais l’exécuteur m'a dit qu'il ne pouvait s'en dispenser parce que cela a été stipulé dans les provisions de sa charge et l’acte de réception ; cependant je crois, Monsieur, que M. le Garde des sceaux et le Conseil pourraient annuler une pareille coutume, quoique fondée en titre, parce qu'elle n'est d’aucun avantage, que même c'est un abus puisqu'elle va au détriment de l’aisance d’une famille. Il résulte de tous ces faits que les 2000 livres que l’exécuteur perçoit du domaine tous les ans ne sont certainement pas suffisants pour fournir à toutes ses dépenses. Il m'en a procuré des états qui font voir que pour sa subsistance et celle de tous les siens, elle monte au delà de cette somme, ce qui lui a fait contracter annuellement des dettes. Je lui ai observé à cet égard que bien d’honnêtes ménages vivaient avec ce revenu et même au-dessous, mais il faut considérer que dans les autres états on a des ressources et que les exécuteurs et leurs familles n'en ont aucunes : le préjugé national les exclut de toutes entreprises lucratives, même des arts et métiers, ce qui les prive de toute espèce de salaire que l’industrie pourrait leur procurer ; ils sont réduits à vivre du produit de leur profession et comme ils n'ont aucunes perspectives qui puissent exciter leur émulation, il est tout simple qu'ils cherchent à mener une vie plus aisée, ne pouvant avoir d’autres satisfactions dans la société. C'était l’avantage qu'avait celui d’Angers avant la suppression des droits qu'il percevait et qui valaient environ 6000 livres, sans y comprendre son abonnement avec la ferme générale pour ce qui concerne les peines afflictives infligées aux contrebandiers ; cet abonnement est aujourd’hui de 1000 livres, mais il en dépense la plus grande partie dans les frais de son transport pour les exécutions dans les 15 greniers à sel qui sont répartis dans le ressort de la sénéchaussée d’Angers, et dont il y en a d’éloignés de 12 et 15 lieues. Ces différentes observations me font penser, Monsieur, qu'il y a lieu d’augmenter ses appointements eu égard à sa nombreuse famille et au discrédit de sa profession, car je conviens qu'un particulier dans tout autre état et situation pourrait y vivre avec le revenu dont il jouit. Mais pour que cette augmentation ne fût point à la charge au gouvernement, je crois qu'on pourrait diminuer le nombre des exécuteurs, ce qui serait avantageux, vu leur état abject dans la société, et n'en établir qu'un en chef dans chaque province qui résiderait dans la ville principale ; au moïen de la suppression des autres, on pourrait lui donner des appointements relatifs à ses charges et à l’étendue de son district. A l’égard des dettes qu'a contracté l’exécuteur d’Angers, il m'en a fourni un mémoire circonstancié qui monte à près de 9000 livres ; ce qu'il doit au boucher, au boulanger et autres fournisseurs en fait la principale partie ; le reste concerne le médecin, chirurgien, apothicaire et ce sont les maladies qui ont beaucoup grossi ces sortes de dépenses : il a eu depuis trois ans deux grandes maladies fort longues ; sa femme est malade depuis dix-huit mois et n'est pas encore rétablie ; son père, sa mère et son frère ont été malades longtemps avant de mourir (7). Tous ces différents malheurs l’ont fort obéré, étant survenus depuis la suppression des revenus de sa charge. Il paraît juste que le gouvernement vienne à son secours en lui accordant une gratification assez forte pour paier une grande partie de ses dettes et empêcher ses créanciers de le poursuivre ; ils y sont décidés et ne veulent plus lui fournir, de sorte qu'il se trouverait sans subsistance n'aiant aucun crédit. Ses appointements étant augmentés et les maladies ne l’affligeant plus et sa famille, il pourrait par la suite par son économie acquitter le restant de ses dettes.
Je suis avec bien du respect, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.


de La Marsaulaye »

Nous ne connaissons pas la suite qui fut donnée à ce rapport. L’année suivante, Jacques Filliaux, devenu infirme, transmit son office à son fils aîné. Il mourut à Angers, un an plus tard, le 11 décembre 1786, âgé seulement de 43 ans.

(1) A un moment, sa famille compta jusqu’à quinze personnes.
(2) Archives départementales d’Indre-et-Loire, C 364. Ce document a été publié par Ernest Laurain, archiviste de la Mayenne (Le bourreau d’Angers (1784), L’Anjou Historique, Cinquième Année, n°2, septembre 1904, Angers-Paris, 1904, pp.133-137)
(3) Anne Charpentier, née en 1763, issue du précédent mariage de sa première épouse.
(4) Jacques-Joseph-Hyacinthe Filliaux, né le 21 janvier 1771 à Angers.
(5) Véronique Filliaux, née le 26 décembre 1771 à Angers.
(6) Il habitait le faubourg Saint Jacques d’Angers.
(7) Son père, Louis-Pierre, était décédé en 1767 (à l’âge de 67 ans) et son frère, Louis-Jacques, en 1759 (âgé de 30 ans).


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