Toujours au chapitre des exécutions secrètes on peut apporter au dossier une nouvelle pièce. C'est une lettre de M. d'Argenson, lieutenant général de police à Paris (1), adressée au Contrôleur Général des Finances, le 16 septembre 1703. Elle concerne un espion protestant enfermé à la Bastille. Le document en lui-même n'apporte pas de révélations spectaculaires, simplement il témoigne que sous le règne de Louis XIV ont avait parfois recours à la pratique des exécutions "discrètes". En l'occurrence dans la cour d'une prison.
"Le nommé Perrot, de Neufchâtel, que vous m'avez ordonné de faire conduire à la Bastille en qualité d'espion, et que des papiers trouvés dans sa chambre convainquent de l'être, tua hier un autre prisonnier qu'on avoit mis avec lui. Je l'allai interroger sur-le-champ, et je lui représentai le cadavre : il me répondit que cet homme, nommé Chevalier, étoit un papiste, qui parloit mal de la religion réformée; qu'il l'avoit tué pour la gloire de la vérité tyranniquement persécutée, et que le Dieu vivant lui avoit inspiré ce dessein. Il insulta même le cadavre en ma présence, et je puis néanmoins vous assurer qu'il étoit dans tout son bon sens, mais animé de cette espèce de fureur qui fait agir les fanatiques, ne parlant que de rétablir l'exercice de sa religion par le fer et par le feu, de tout entreprendre pour venger ses frères, et de mourir pour la défense du culte de Dieu. Il y auroit plus de matière qu'il n'en faut pour lui faire son procès et pour le condamner au dernier supplice; il a même donné un coup d'épée dans la cuisse du capitaine des portes, qui étoit allé au secours de son camarade expirant. Mais je ne sais s'il est à propos d'exposer en public un homme de ce caractère, qui sera d'humeur à prêcher le peuple jusque sur l'échafaud et à donner au milieu de Paris un spectacle peu convenable à la conjoncture où nous sommes. On pourroit néanmoins le juger dans la Chambre de l'Arsenal et le faire exécuter dans la cour même de la Bastille; mais c'est, ce me semble, prendre bien des précautions pour un homme de ce caractère, et je craindrais que le public n'en présumât des faits encore plus graves que ceux qui font le crime de cet accusé. Pardonnez-moi la liberté que je prends de vous dire ce que je pense sur ce sujet, avant de savoir quelles pourront être vos vues, que je respecterai toujours comme je le dois, et auxquelles je soumettrai sans réplique mes faibles lumières." (2)
(1) Marc René de Voyer de Paulmy d'Argenson (1652-1721), ministre d'Etat et lieutenant général de police de 1697 à 1718.
(2) A.M. de Boislisle, Correspondance des contrôleurs généraux de finances avec les intendants des provinces, tome 2 (1699 à 1708), Paris, Imprimerie Nationale, 1883, n°524 pp.151-152.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire