8 novembre 2009

De la hauteur des potences


Au printemps 1775, la France fut secouée par une révolte populaire connue sous le nom de la guerre des farines. Dans un contexte de disette, à la suite d’une hausse du prix des grains et par conséquent du pain, des émeutes éclatèrent à Paris, en île de France et dans plusieurs provinces. Brutalement réprimée, la contestation fut suivie par une vague d’arrestation et la punition de nombreux émeutiers. Dans la capitale, deux individus (1) qui avaient pris une part active au pillage de la boutique d'un boulanger, dans la faubourg Saint-Marcel, le mercredi 3 mai, furent condamnés à mort.

Jugés le 11 mai par la chambre criminelle du Châtelet, les deux émeutiers furent pendus le jour même, vers quatre heures de l'après midi. Dans des circonstances aussi particulières, le procureur du roi avait exigé qu'ils soient accrochés à de très hautes potences afin d’être vus de très loin. On sait que cette initiative ne fut pas du goût de Charles-Henry Sanson, l’exécuteur, qui redoutait d’avoir à officier à plus de cinq mètres du sol. En dépit de ses craintes, on lui commanda d’obéir en lui promettant que le dispositif ne serait utilisé qu’à cette seule occasion.
Dans son journal, Louis-Adrien Le Paige, avocat au parlement et bailli du Temple, relate cette exécution :

« Du 11 mai 1775. On a pendu aujourd’hui à la Grève deux des pillards par jugement du prévôt. Les potences avaient douze ou quinze pieds de haut ; le procureur du roi y avait conclu, mais le jugement ne le portait pas. Cependant cet extraordinaire a eu lieu. Le bourreau, effrayé de cette longue échelle qui tremblait sous lui, est monté à l’hôtel de ville pour représenter au prévôt, qui y était, le péril où cette élévation le mettait lui et le patient ; mais on lui a répondu que cela était fait, et que ce ne serait que cette fois. Il a fallu qu’il s’en tirât de son mieux, ce qu’il n’a fait qu’en craignant beaucoup de culbuter avec son patient, ce qui n’est pas arrivé. Toutes les issues qui répondaient à la grève étaient gardées par des gens à pied et à cheval, la bayonnette au bout du fusil ou l’épée à la main, qui tournaient le dos à la grève et qui faisaient face à ceux qui y seraient entrés. On n’y a laissé entrer que très peu de monde. On les a pendus en plein jour, vers les quatre à cinq heures. On en a pendu aussi deux à Soissons, quelques-uns envoyés aux galères, d’autres bannis. » (2)

De même que le libraire Siméon-Prosper Hardy :

" On avait posé qu'à trois heures après midi les deux potences hautes de dix-huit pieds par extraordinaire et sans doute pour plus grand exemple. Dès deux heures la place de Grève et tous les environs avaient été garnis par des détachemens des différentes troupes tant à pied qu'à cheval. Les Suisses et les gardes françaises continuaient aussi leurs patrouilles dans les rues adjacentes. […] Ces deux malheureux quoiqu'atteints et convaincus d'avoir joué un rôle principal dans la sédition et émotion populaire du 3 mai, criaient le long du chemin en allant au supplice qu'ils étaient innocents et continuent la même protestation en montant à l'échelle pour être pendus." (3)

(1)  Jean-Denis Desportes, 30 ans, perruquier et ancien soldat du régiment de la vieille marine, et Jean-Charles L’Eguiller, 18 ans, gazier.
(2) A. Gazier, La guerre des farines (mai 1775), Mémoires de la Société de l’Histoire de Paris et de l’Ile de France, Tome VI (1879), Paris, H. Champion, 1880, pp. 12-13.

(3) Bibliothèque Nationale, Ms Fr. 6682, f°67.

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