25 juin 2009

Qui a assassiné le bourreau de Lyon ?


Que s’est-il passé dans la maison du bourreau de Lyon, dans la nuit du 18 au 19 mai 1723 ? Par qui et pourquoi l’exécuteur et sa femme ont-ils été assassinés d’une manière aussi violente ? Malgré une enquête d’un commissaire de la sénéchaussée de Lyon, hâtivement menée et rapidement classée, le mystère n’a jamais été résolu.
Le 20 mai dernier, nous avons publié quelques lignes sur cette affaire, laissant les cadavres d’Antoine Benoit et de sa femme dans la rue, devant le cimetière de la Madeleine, au faubourg de la Guillotière. Depuis, nous avons eu l’occasion de dépouiller toutes les pièces de la procédure criminelle qui fut diligentée à l’époque. Ce dossier est conservé dans le fonds de la sénéchaussée de Lyon, aux Archives départementales du Rhône, sous la cote BP 2998. (1)

Le jeudi 20 mai 1723, au matin, il règne une agitation inhabituelle autour de la demeure du bourreau de Lyon, à La Guillotière. C’est un endroit bien connu du quartier de la Thibaudière, où depuis plus d’un siècle on loge l’exécuteur aux frais de la ville. L’habitation n’a rien de sordide. Elle est composée d’un bâtiment en rez-de-chaussée comportant hangar, loge, cuisine, chambre, latrines, serres, avec une cour et un jardin clos de mur. (2)
La nouvelle s’est propagée dans tout le faubourg : Antoine Benoit et sa femme (3) ont été assassinés. Arrivé le premier, maître Gros, greffier mandaté par le juge de La Guillotière, s’est fait ouvrir la porte par un serrurier. Bientôt rejoint, vers dix heures, par Jean-Baptiste Fleury, enquêteur et commissaire extraordinaire de la sénéchaussée et siège présidial de Lyon. C’est lui qui, officiellement, a été chargé des premières investigations. Quand il pénètre dans la maison, il aperçoit immédiatement le cadavre d’un homme, étendu dans la cuisine et, dans la chambre voisine, celui d’une femme. A première vue, l’exécuteur a été frappé à la tête et son épouse a eu la gorge tranchée. Toutes les portes des placards sont ouvertes. En poursuivant les recherches, on retrouve disséminés dans le jardin divers objets directement liés au crime : d’abord la barre de fer qu’utilisait le bourreau pour les exécutions. Le lourd ustensile servant à rompre les condamnés est enveloppé dans un linge épais maculé de sang. Plus loin, un couteau à manche de buis, également taché de sang. Et, près de la maison, plusieurs coiffes féminines elles aussi ensanglantées.
Jean-Baptiste Fleury interroge ensuite les voisins susceptibles d’avoir aperçu les assassins du couple Benoit. Leurs témoignages sont assez vagues. Ils ont simplement vu, dans la journée du mardi 18 mai, trois particuliers « lun desquels etoit vetu dune couleur fort brune, quy avoient fait la debauche chez led. Benoit pendant les trois der[ni]eres festes de pentecoste, tant pendant les jours que pendant les nuits, et quil croyoit que led. Benoit et sa femme avoient ete assassinez pendant la nuit du mardy au mercredy dernier.»
François Gilliat, jardinier, quarante-cinq ans, précise que pendant les trois jours qu’ont duré les fêtes de la Pentecôte, « il a vû un particulier qui etoit dans la maison ou logeoit Antoine Benoit, executeur, voisine a celle du deposant, et qui y bu tant les jours que les nuits entierement, ouyt memes quil y avoit deux autres part[iculi]ers chez led. Benoit mais il ne les vit pas.» Sa femme « ayant ouy rire et chanter la nuit [du meurtre]. »
Catherine Peysson, veuve de Pierre Fournier, jardinier de la Guillotière, demeurant quartier de la Madeleine, âgée d’environ soixante-douze ans, témoigne à son tour : « mardy dernier, qui etoit la derniere des festes de pentecoste, elle vit sur les trois heures de relevée led. Benoit qui donnoit des roses aux passants pardessus la muraille de son jardin, vit aussy un part[iculi]er qui etoit avec led. Benoit dans son jardin, et sur la tombée de la nuit elle vit aussy la femme dud. Benoit, et jeudy dernier, le matin, elle ouy dire que led. Benoist et sa femme avoient eté assassinez dans leur maison, et que cetoit trois part[iculi]ers qui auroient bu et mangé chez led. Benoist qui lavoient assassiné. »

C’est maintenant au tour des deux médecins, appelés par le commissaire-enquêteur, d’examiner les corps. Le rapport d’autopsie rendu par Claude Vallant, professeur agrégé au collège de médecine de Lyon, et Jacques Pelletier, chirurgien-juré, mérite d’être publié :
« Estant entrés dans une maison ou logeoit le dit executeur de la haute justice nous avons trouvé son cadavre dans une chambre au rez de chaussée de la cour et du jardin et estendu sur la terre. Lequel apres l’avoir exactement visité nous avons recognu avoir esté blessé sur le costé droit du sommet de la teste d’une maniere que les teguments n’estoient pas seulement separés, mais aussy toute la partie superieure de los parietal droit decouverte, brisée, ouverte et enfoncée, la dite blessure estant de la longueur d’environ trois travers de doigts et autant de largeur, nous avons de plus recognu une autre blessure considerable qui est la machoire inferieure entierement cassée, enfoncée et les dents separées depuis l’angle gauche de la machoire jusques a la symphise du menton lesquelles deux blessures nous paroissent avoir estés faites par une main tres vigoureuse avec un instrument contendant et fort solide comme barre de fer ou autre semblable, nous luy avons de plus recognus deux blessures faites par un instrument pointu et coupant comme un petit couteau ou autre semblable, desquelles la premiere lui perce la joue gauche au dessous du zigoma partie posterieure et l’autre perce le milieu du muscle buccinateur jusques dans l’interieur de la bouche, de toutes lesquelles blessures il est facile de conclure, comme nous le concluons, que la mort du dit maistre Antoine Benoist a bientost esté le produit. De plus nous avons trouvé dans une chambre au mesme rez de chaussée le cadavre de la femme dudit maistre benoist executeur de la haute justice, estendu sur les carreaux la face couverte de sang et l’ayant visité exactement nous luy avons recognu une blessure tres considerable dont louverture environ de trois travers de doigt de largeur est scituée a la partie laterale droite du col immediatement au dessous de l’apophyse mastoide, passe dans la partie anterieure moyenne et interieure du col et vient sortir par une ouverture de la largeur environ d’un poulce du costé gauche du col un peu plus bas que lautre et de mesme au dessus de l’apophyse mastoide gauche, laquelle blessure nous paroit avoir estée faite par un poignard ou autre instrument tres ressemblant, qui a coupé la trachée artere et les vaisseaux sanguins qui se rencontrent dans cette partie, scavoir les carotides arteres externes et les jugulaires venes externes, ce que nous asseurons avoir causé une mort tres prompte en foy de quoy nous avons signés le present rapport. Fait à Lyon le 20e may 1723.»

Ces constatations étant faites, afin d’éviter « l’infection que pourroient causer lesdits deux cadavres » le commissaire Fleury prend des dispositions pour qu’ils soient conduits, sur une charrette, jusqu’au cimetière de la Guillotière. En même temps, il enjoint au curé ou au vicaire de la paroisse de faire procéder, sans tarder, à leur inhumation.

Après avoir rassemblé, en plusieurs paquets, quelques objets appartenant aux victimes, les enquêteurs font fermer les issues de la maison et poser les scellés. Les époux Benoit n’étaient guère aisés, possédant seulement « deux lits à colonnes rondes garnys, celui etant dans la cuisine, dun lit de plume et traversin aussy plume, une couverte laine et deux draps de grosse toile de menage, et lautre lit dune paillasse et dune couverte, et quelques mauvaises garderobes et autres menus effets de bien peu de valeur. »

En l’absence d’informations précises sur l’identité du ou des assassins, le procureur général, tout en requérant la poursuite de l’information, semble avoir rapidement classé l’affaire. Du moins, le dossier de procédure s’arrête le 30 mai 1723, avec une assignation lancée à l’encontre du « particulier dont les témoins ont entendu parler.»

Quatre mois plus tard, l’arrivée de Nicolas Benoit, se déclarant fils unique des époux assassinés, crée une certaine surprise. Savait-on seulement que ces derniers avaient un enfant ? Quant aux motifs de son absence, on comprend vite qu’ils ne sont pas le fait de sa volonté. Il confesse en effet avoir eu le malheur « d’avoir esté aux galeres » dont il a été libéré récemment.
Mais de retour à Lyon, il a trouvé le logement de famille occupé par un autre exécuteur (4). Cet office ne souffrant pas, en principe, d’être trop longtemps vacant. Nicolas Benoit n’a pas perdu que son domicile, il a aussi été spolié d’une grande partie des effets restés chez ses parents. En effet, le successeur de son père – qui ignorait sans doute son existence – a vendu « tout l’ustancile du menage », les couvertures, et même quinze gerbes d’orge et de froment qui se trouvaient dans le grenier. On imagine sa détresse, « estant reduit a la derniere misere n'ayant pas un sol pour pouvoir vivre et ne scachant ou donner de la teste. » Il lui est toutefois permis de récupérer les effets que les enquêteurs ont emportés après le décès de son père.
Le 23 septembre, Nicolas Benoit passe au greffe du palais de justice, place de Roanne, où on lui restitue « toutes les nipes, linges, et autres effets renfermes dans trois paquets, de même que deux chauderons, un bassinoir, deux sacs de bles. » le tout d’une valeur d'environ vingt livres. Ceci fait, on n’entendra plus jamais parler de lui.
Le 1er décembre, Jean Villemot, prêtre, docteur en théologie, curé de la paroisse de Notre Dame de la Guillotière, présente à son tour une réclamation au procureur du roi. Il souhaite qu’on lui rembourse les dépenses qu’il a effectuées pour faire inhumer les époux Benoit, notamment « une somme de six livres donnée à ceux qui ont trainé les cadavres dans la fosse qu'il avait fait préparer exprès par le marguillier. » La justice y consent. Ultime acte de cette dramatique affaire.

L’assassinat du bourreau de Lyon restera définitivement une énigme. Il est certain que la personnalité des victimes – issues de la classe la plus vile de la société – n’a pas encouragé les enquêteurs à un zèle extrême. Mais par qui le crime a-t-il été perpétré ? Visiblement par des hommes qu’Antoine Benoit connaissait (ils ont passé au moins trois jours chez lui). Ce qui limite les recherches à ce cercle professionnel et familial, si particulier, que l’on retrouve uniquement chez les exécuteurs. Le mode opératoire – le bourreau a été assassiné avec la barre de fer lui servant à rouer et « par une main très vigoureuse » – constitue un indice à ne pas négliger. Il serait tentant d’imaginer que ce meurtre a pu être commis par un autre exécuteur. Par vengeance ? jalousie ? cambriolage ? ou tout simplement à la suite d’une querelle qui aurait dégénéré entre individus avinés ? Autant de questions auxquelles ce petit dossier d’une vingtaine de pages ne permet pas de répondre.

Jourdan

(1) Tous mes remerciements à Julien Mathieu, des archives du Rhône, qui a eu l’amabilité de me faciliter l’accès à ces documents.
(2) Jules Drivon, Histoires de bourreaux, Lyon, A. Rey, 1912, p.8.
(3) L’identité précise de l’épouse d’Antoine Benoit n’est pas connue. Les enquêteurs parlent d’une femme « dont nous ne savons pas le nom » et le curé de la Guillotière la désigne, dans son acte de décès, sous la lettre x.
(4) Le successeur d’Antoine Benoit se nommait Jean Lavoué. Il a occupé cet office de 1723 à 1735 environ.
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3 commentaires:

  1. "...Il y a environ quatre années l'exécuteur de la haute justice a Lyon fut assassiné par led Grallier, Michon et Peret après avoir soupé chez led exécuteur ayant scu ce fait par led Grallier qui en fit la confidence a la nommée Moran, en presence de la déposante...". Extrait des registres de la maréchaussée de Provence. A.D. Bdu Rhône série 7B, procédures criminelles.

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  2. Un autre document des A.D. du Rhône: BP 3032 confirme le document précedent. Il s'agit de la déclaration du nommé Fillieu du 5 juillet 1727 :
    "...Le même jour, le nommé Etienne, valet dud Grailler (parfois écrit Grailler ou Grallier) luy dit qu'il avoit été present lorsque Grailler, sa femme, et deux autres personnes assassinerent l'exécuteur de la haute justice et sa femme...".
    Il s'agit donc de :
    -Jean Baptiste Grailler
    -Michel Arbaud dit "Michon", "Bureau" et "Denfert".
    -Peret

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    1. Merci beaucoup pour ces précisions essentielles qui apportent une conclusion inattendue à ce récit. Les informations que vous avez l'amabilité de nous communiquer prouvent que nos archives contiennent encore de nombreuses pépites et que, avec de la patience et un peu de chance, on peut parvenir à résoudre certaines énigmes. Surtout quand des chercheurs - comme vous - ont la générosité de partager leurs trouvailles.
      Si vous avez d'autres informations à nous communiquer sur cette affaire, n'hésitez pas à nous les transmettre directement (BCI.Paris@free.fr). Nous les publierons sous votre signature.

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