Il y a soixante-dix ans, le 17 juin 1939 à 4h 30, Eugène Weidmann, trente-et-un ans, condamné à mort pour l'assassinat de six personnes, était guillotiné devant la prison de Versailles.
La décapitation du jeune Allemand, par Henri Desfourneaux, exécuteur en chef des arrêts criminels, assisté de ses adjoints André Obrecht, Georges Martin et Henri Sabin dit Fernand, devait être la dernière exécution en public qui eut lieu en France. Edouard Daladier, le président du Conseil d'alors, signait en effet quelques jours plus tard un décret mettant fin aux exécutions publiques. Les derniers moments de ce dandy séduisant, qui avait reçu dans sa cellule plusieurs lettres de femmes lui proposant de l'épouser, auraient provoqué, selon la presse de l'époque, des « scènes d’hystérie »; on ira même jusqu'à prétendre que certaines spectatrices auraient trempé leur mouchoir dans le sang du supplicié qui maculait le pavé.
La veille de l'exécution, tout était pourtant calme à la prison Saint-Pierre de Versailles, raconte André Obrecht, dans un livre de mémoires posthumes paru sous la signature de Jean Ker (1). Le condamné, qui venait d'apprendre que son pourvoi en grâce venait d'être rejeté par le président Albert Lebrun, s'entretenait avec Maître Renée Jardin (2), l'un de ses avocats. Il relisait aussi L'imitation de Jésus-Christ en soignant les deux chats qu'il avait eu l'autorisation de garder avec lui.
Dehors, les autorités judiciaires étaient assaillies de demandes de laissez-passer pour assister au supplice. Dès 23 h, les premiers curieux commençaient à arriver car on avait eu vent de l'imminence de l'exécution. Quelque trois-cents versaillais ou parisiens se pressaient derrière les barrières. La guillotine, venue par le train, était montée à 2 h 50. Le nouveau « Monsieur de Paris » (3), avait soigné sa mise : pardessus et chapeau mou, barbiche blanche soigneusement taillée.
L'exécution, prévue à 3 h 50, n'eut finalement lieu qu'à 4 h 30, une discussion s'élevant entre Desfourneaux et le procureur général de Versailles sur la question de l'heure solaire et de l'heure légale.
En quelques secondes – douze selon les journaux de l'époque – Eugène Weidmann, soutenu depuis la porte de la prison par les aides Georges Martin et Henri Sabin, fut allongé sur la bascule. Le couperet de sept kilos, lâché par Desfourneaux, tomba et le corps fut aussitôt basculé dans le panier. Bien que les policiers aient fait la chasse aux photographes, cachés dans les arbres ou derrière les fenêtres des appartements voisins, toute une série de clichés fut réalisée ainsi que plusieurs films. Quelques jours plus tard, Match publiera un reportage photo de l'exécution (4). On y voyait André Obrecht, en manteau sombre, feutre gris à ruban noir, trois pas en arrière de la Veuve pour ne pas être éclaboussé par le sang du condamné. On reconnaissait aussi Georges Martin, tête nue, et Henri Sabin, un béret vissé sur la tête, encadrant Weidmann portant une chemise blanche largement échancrée.
Les photos firent le tour du monde. L'image de la France, à quelques mois de la guerre, fut ternie. Et les adversaires de la peine de la mort relancèrent la campagne abolitionniste. Pour André Obrecht, les « scènes d'hystérie » se limitèrent en fait à quelques bousculades, cris ou sifflets.
Du coup, le décret d'Edouard Daladier, stipulant que les exécutions devraient désormais se dérouler à l'intérieur des prisons, fit tomber un argument des défenseurs de la peine de mort : l'exemplarité. Les dizaines d'exécutions capitales (résistants, « terroristes algériens » criminels célèbres ou inconnus, et même trois femmes) des quarante années suivantes se déroulèrent désormais dans la cour intérieure des prisons. En présence de quelques personnes seulement : le bourreau et ses trois aides, le directeur de la prison, les avocats des condamnés, le procureur de la République.
S. Roch
(1) Jean Ker (propos recueillis par), Le carnet noir du bourreau, Mémoires d'André Obrecht, Paris, Gérard de Villiers, 1989.
(2) Renée Jardin Birnie a publié chez Gallimard, en 1968, des textes inédits d'Eugène Weidmann sous le titre Le Cahier rouge d'Eugène Weidmann.
(3) Jules-Henri Desfourneaux, succédant à Anatole Deibler, avait été nommé à ce poste trois mois auparavant, le 15 mars 1939. C’était la troisième exécution capitale, en tant qu’exécuteur en chef, qu’il effectuait.
(4) Match n°51 du 22 juin 1939.
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