De toutes les techniques employées par le bourreau pour exécuter ses patients, l'utilisation de l'arquebuse parait assez inattendue. Au XVIe siècle, mettre à mort un condamné avec une arme à feu aurait constitué un réel progrès. Il semble que ce moyen "moderne" n'ait pas suscité l'enthousiasme des magistrats d'alors, lesquels préféraient les peines spectaculaires à l'emploi de méthodes aussi triviales.
Nous connaissons quelques exemples de bourreaux transformés en chasseurs occasionnels. Ainsi, dans les années 1580-1590, Pierre Fleuriet, bourreau de Dijon, reçut une arquebuse avec mission d'abattre les malades de la peste qui s'approcheraient trop près des murs de la ville. Évidemment, le choix d'une arme permettant de tuer à distance était surtout dicté par le souci de ne pas entrer en contact direct avec les personnes contagieuses.
Un arrêt du Parlement, du 1er septembre 1576, destiné à arrêter la contagion qui menaçait la cité, avait ordonné aux habitants d'obéir à toutes les prescriptions des magistrats sous peine d'êtres "pendus et estranglés". Pour cette raison, le 16 mars 1585, les édiles condamnèrent à la potence un certain Richard Verle, sanctionné pour ses manquements aux mesures de police concernant les pestiférés. Comme l'exécuteur courait le risque d'être lui-même contaminé en exécutant cette sentence, il fut autorisé à utiliser une arquebuse et à faire feu sur l'accusé dès qu'il le verrait discuter avec des personnes en bonne santé. (1)
Avec le danger de plus en plus grand de voir le fléau décimer la capitale de la Bourgogne, les magistrats n'hésitèrent pas à renouveler les menaces de mort contre les malades qui oseraient s'en approcher. Le 18 avril 1586, les paysans qui voulaient entrer en ville durent déclarer d'où ils venaient, sous peine d'être immédiatement arquebusés. " II fut deffendu à tous malades ou ayant la peste collante se mettre sur les grands chemins parmi les saings ou se mesler es assemblées es rues et s'aprocher les portes et advenues de ladite ville, à peine de mort." Le 21 juillet suivant, "sur l'observation que les sergents commis pour porter l'arquebuse et tenir les chemins et endroits où les pestes et aultres retirés sont, pour faire contenir iceulx et ne permettre qu'ils vaguent par les chemins, font reffus de tirer les désobeyssants suivant les arrests de la Cour, la Chambre (de ville) a commis et institué l'exécuteur de la haulte justice porter l'arquebuz et tuer lesdits désobeyssants promptement et sur-le-champ, les trouvant en désobeyssance et luy sera donné trois écus un tier de gages. "
Désormais promu "chasseur de pestiférés" l'exécuteur Pierre Fleuriet fut reçu par le chambre le 29 juillet 1586, "où estant, le sieur visconte maieur luy a faict entendre la commission à luy defferrée par icelle et ce qui en despend pour l'exercice, a promis par son serment presté aux saints évangiles de Dieu porter l'arquebuz et promptement tuer celluy ou ceulx qui se trouveront parmi les saings ayant la peste, ou qui auront esté en lieux infectés ; et incontinent qu'il sera adverty pour ce fait, se mettra en debvoir de marcher et aller trouver celluy qui le demandera avec son arquebuz toute preste. Et sera advancé ung mois audit exécuteur pour luy avoir une arquebuz. " (2) Avis en fut donné au public.
Ce n'étaient pas de vaines menaces car, un mois plus tard, le 30 août, un vigneron de la Roulotte ayant contrevenu à l'ordonnance fut attaché par le bourreau à un poteau du cimetière aux chevaux et arquebusé.
Alternant cette nouvelle mission avec les autres activités plus classiques de son office, Fleuriet continua pendant longtemps d'être l'arquebusier à gages de Dijon. Le 23 août 1596, on voit encore les magistrats municipaux prescrire des mesures similaires : « Informée que nonobstant les injonctions et deffenses aux mallades de la peste de sortir de l'isle et des maisons où ils sont logés, touttefois ils ne délaissent de tenir les chemins, vaguer ça et là, s'aprocher des saings, voir, prendre et toucher les denrées que l'on amène en ville, qui est pour inconvénienter et infecter un chacun : pour empescher la continuation de tels pernicieux et mauvais actes, la Chambre du Conseil de la ville ordonne à tous les malades se contenir esdits lieux sans en partir, ny tenir les chemins, approcher les murailles et portes de la ville de cinq cents pas, à peine d'être arquebusés par l'exécuteur de la haute justice ou son valet à cest effet commis. »
Jusqu'en 1634 et même au delà, cette ordonnance resta toujours en vigueur mais on ignore si elle continua d'être aussi rigoureusement appliquée.
Dès 1605, Pierre Fleuriet avait abandonné ses fonctions d'exécuteur de la haute justice de Dijon, après les avoir exercées pendant plus de trente ans.
(1) N. Clément-Janin, Le Morimont de Dijon. Bourreaux et supplices, Dijon, Darantière, 1889, p.67-68.
(2) Henry Daroy, Les fontaines publiques de la ville de Dijon, Paris, Victor Dalmont, 1856, pp. 60-61.
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