Il y a cent-trente ans, le 19 mai 1879 à 5 heures, Jean Laprade, vingt ans, condamné à mort pour parricide, était guillotiné sur la place du pin à Agen.
En 1878, Allemans (1), petit village de 664 habitants, sur la rive gauche du Dropt, en Aquitaine, avait été le théâtre d’un horrible drame. Le dimanche 10 novembre, dans une maison isolée au lieu dit « La carrière », Jean Laprade (2), vingt ans à peine, à l’occasion d’une violente colère dont il était coutumier, avait massacré toute sa famille. Son père, sa mère et sa grand-mère. Les abattant avec un fusil puis s’acharnant sur leurs corps à coups de crosse, de serpe et de couteau. Le 6 mars 1879, le jeune homme avait été condamné à la peine capitale (3).
A Paris, à la suite du décès de Nicolas Roch, un nouvel exécuteur en chef venait d’être désigné le 15 mai 1879 : le sieur Deibler Louis-Antoine-Stanislas, adjoint depuis 1871. En même temps que sa nomination, le bureau des affaires criminelles l’informa qu’il aurait à exécuter Laprade le lundi suivant, au matin. Sans plus tarder, Deibler fit prévenir ses trois adjoints, Aimé Etienne, Edouard Desfourneaux et Alphonse Berger, en compagnie desquels il quitta Paris, en chemin de fer, dans la soirée du 17 mai.
Le lundi 19 mai, avant l’aube, les bois de justice étaient dressés sur la place du pin, à Agen. Quelque trois-cents soldats d’infanterie de ligne et sept brigades de gendarmerie assuraient le maintien de l’ordre, formant un carré autour duquel cinq ou six mille spectateurs se pressaient. Les journalistes découvraient le nouvel exécuteur : « un homme de taille moyenne, boiteux, voûté, blond, d'une corpulence plutôt faible que forte. Il porte la barbe en fer à cheval » et ses aides : « deux seulement sont hauts et vigoureux; le troisième est petit et grêle. » (4)
A la prison, quand Deibler entra dans la cellule du condamné, ce dernier eut un mouvement de refus : «Ne m'approchez pas, ne me touchez pas.» Tandis qu’on apportait un tabouret pour le faire asseoir, pour procéder à la toilette, les adjoints sortirent de leurs poches des cordelettes pour l’attacher. « Ne m'attachez pas, s'écria-t-il, je ne veux pas, je ne veux pas mourir, je suis innocent, je veux écrire, laissez-moi écrire. » Comme Laprade était d’une force herculéenne et que l’exécuteur et ses aides n’arrivaient pas à le maintenir, quatre gardiens furent appelés en renfort. Une lutte s’engagea alors entre ces huit hommes et le condamné qui refusait obstinément de s’asseoir et de se laisser attacher « Je suis innocent s'écria-t-il je ne veux pas mourir. » Avec toutes les peines du monde ils parvinrent à le coucher sur le dos, à lui passer une camisole de force et à lui lier les jambes. Mais Laprade opposait toujours une très vive résistance. « Je ne veux pas vous faire du mal, dit l’un des aides, seulement, laissez vous faire. » « Je vais souffrir, hurla Laprade j'en ai assez de souffrances comme ça; je ne veux plus souffrir. » se débattant de nouveau. « A quoi cela vous avance-t-il de faire le méchant ? Nous serons bien maîtres de vous » fit observer Deibler. « C'est terrible, continuait Laprade, que vous fassiez cela envers moi. Je ne veux faire du mal à personne. Laissez-moi libre. » En même temps, il avait réussi à se défaire des liens qui lui entravaient les jambes et résistait à coups de pieds aux aides qui voulaient l’obliger à s’asseoir.
A cet instant, comme on le forçait à se coucher face contre terre, sa tête heurta violemment le pavé de la cellule. Le journal La Constitution affirmera qu’un gardien l’avait pris par les cheveux et lui avait cogné la tête contre les dalles. Certaines rumeurs attribueront même à Deibler ce mauvais geste. On verra plus loin qu’il n’en est rien (5).
Enfin vaincu, le prisonnier consentit à se laisser faire. L’aide Berger lui coupa le col de sa chemise. « Il est pénible, dit alors un gardien, d'user de pareils moyens pour vous faire rester tranquille. » « C'est bien plus pénible pour moi que pour vous » lui répliqua Laprade qui n'avait pas perdu un seul instant sa lucidité d'esprit. « Oui, ajouta-t-il, c'est très pénible. » Interpellant un des aides, il ajouta « On dirait qu'il vous semble que ce n'est pas pénible? Je voudrai bien vous voir à ma place! »
Le directeur de la prison centrale ayant déclaré qu'il fallait enlever au condamné la camisole de force, Deibler lui répondit qu'il fournirait une déclaration attestant que, dans ces circonstances, son utilisation avait été indispensable. Dans l'arrêt on avait précisé que le condamné – en tant que parricide – serait conduit au supplice en chemise, les pieds nus et recouvert d’un voile noir. Les aides de l’exécuteur lui retirèrent ses bottines, jetèrent un peignoir blanc sur ses épaules et lui nouèrent sur la tête un crêpe qui descendait jusqu'aux genoux. « C’est pénible, c’est pénible » continuait de répéter le prisonnier. « Pourquoi aussi avez-vous voulu vous révolter ? lui demanda Berger, il n’est guère dans nos habitudes d’agir ainsi envers les condamnés. Vous faîtes le méchant, vous feriez mieux de montrer un peu de repentir. »
Il était cinq heures moins le quart. La lutte avait duré près d’une demi-heure.
Avant de sortir, Deibler voulu savoir si le condamné souhaitait marcher ou s’il fallait qu’on le porte : « Je marcherai » répondit Laprade.
Dans la cour, on le fit monter dans le fourgon, accompagné par deux prêtres (6) et les aides de l’exécuteur. Escorté par un piquet de gendarmes, le convoi se mit en marche, au pas, par le Cours Plate-forme, le Cours Trénac et le Cours du Pin.
Arrivé près de la guillotine, on lui retira son voile noir. Un huissier lu l’arrêt de condamnation. Après avoir embrassé un crucifix que lui présentait l’abbé Faure et répété encore « je suis innocent », Jean Laprade fut poussé sur la bascule et amené sous le couperet. Comme il tordait le cou dans la lunette, un adjoint lui redressa la tête. Deibler laissa alors tomber le couteau. Toute la guillotine fut éclaboussée de sang. La lame avait tranché le crâne à la base de l’occiput et des maxillaires.
Quelques jours plus tard, certains journaux ayant relaté cette exécution en évoquant la « brutalité » des exécuteurs, le Garde des Sceaux demanda des éclaircissements. Le procureur général Paul Aubert lui répondit, le 24 mai 1879 : « On a lu dans La Constitution que Laprade avait été l'objet de violences. Ces allégations sont inexactes en ce qui concerne les violences et mauvais traitement. Il a résisté. Il a fallu s'en rendre maître, lui attacher les jambes et les bras. Il s'est laissé conduire d'abord jusqu'à la voiture, c'est-à-dire traverser le corridor de la prison et ensuite sur 15 ou 20 pas de la voiture à l'échafaud. » (7)
S. Roch
(1) Depuis 1896 cette commune du Lot-et-Garonne a ajouté « du Dropt » à son nom.
(2) Jean Laprade est né le 5 novembre 1858 à Allemans, de François Laprade et d’Elisabeth Chaumès.
(3) Dès cette époque, cette affaire a fait l’objet de nombreuses publications : Affaire Laprade. Cour d'assises de Lot et Garonne. Session du 1er trimestre 1879. Triple parricide d'Allemans, Acte d'accusation, Montauban, Impr. de Macabiau-Vidallet, 1878. Affaire Laprade, Le triple parricide d'Allemans-du-Drop, Carcassonne, Impr. P. Polère, 1879. Cour d'assises du Lot et Garonne, Le triple parricide d'Allemans-du-Drop, Affaire Laprade, Bordeaux, impr. de Bord, 1879. Laprade, le parricide condamné à la peine de mort par la cour d'assises de Lot-et-Garonne séant à Agen, Orléans, Impr. Masson, 1881.
(4) La Presse du 22 mai 1879
(5) Cette exécution est relatée, entre autres, dans La constitution, Le journal du Lot-et-Garonne, Le journal d’Agen.
(6) Le condamné était assisté de l’abbé d’Arlan de Lamothe, aumônier des prisons, et l’abbé Faure, aumônier du lycée.
(7) Archives Nationales, BB/24/2047
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