Avec le livre de Jean Teulé, sorti récemment (1), un drame atroce sur lequel on a déjà publié plusieurs ouvrages vient de refaire surface, pour le plus grand bonheur des amateurs d’histoires extraordinaires.
Le 16 août 1870, à Hautefaye, petit village situé au nord ouest du département de la Dordogne, un jeune aristocrate périgourdin nommé Alain de Monéys fut, à la suite d’un quiproquo qui entraina une sorte de folie collective, lynché et brûlé vif. Dans l’impossibilité d’établir l’exacte responsabilité des uns et des autres, la justice lança des poursuites contre les principaux meneurs.
Le 21 décembre 1870, la cour d’assises de la Dordogne prononça dix-neuf condamnations, dont quatre à la peine capitale contre Léonard dit Piarrouty, 53 ans, chiffonnier, Pierre Buisson, 33 ans, cultivateur, François Mazière, 29 ans, cultivateur et François Chambord, 33 ans, maréchal ferrant.
Nous sommes alors en pleine guerre de 1870. Paris est assiégé par les prussiens depuis le 18 septembre et le gouvernement provisoire s’est replié sur Bordeaux.
En dépit d’une situation aussi difficile et chaotique, trois avocats, membres du barreau de la Dordogne, tentent d’obtenir la grâce des condamnés : « Le crime d’Hautefaye, en effet, en dehors de sa matérialité même, n’est pas, à ce point, reprochable aux condamnés. Il est le crime de la Foule, dans une heure d’ivresse, avec son ignorance, sa superstition, ses fanatismes, les excitations qui procèdent du bruit et du nombre ; en un mot, avec toutes ses causes d’égarement. » (2)
Peine perdue car le garde des sceaux, Adolphe Crémieux, se montre intraitable : « Considérant qu’après cette condamnation le ministère public a su s’assurer, soit par la déclaration des jurés, soit par l’entremise du préfet et du maire de Périgueux, que le verdict avait été délibéré avec maturité et rendu à l’unanimité, et que l’opinion publique le ratifiait. Considérant qu’à son vif regret il n’a su découvrir de circonstances atténuantes en faveur d’aucun des quatre condamnés. Estime qu’il a lieu de laisser à la justice son libre cours, et rejette les demandes en grâce formulées au nom des condamnés (Bordeaux, 30 janvier 1871). » (3)
Au ministère de la justice, à Bordeaux, on se préoccupe à présent de faire exécuter la sentence. Un décret tout récent (4) vient justement de modifier l’exercice de la peine capitale, supprimant l’échafaud, les exécuteurs régionaux, et ne maintenant qu’un exécuteur en chef et cinq adjoints à Paris. Mais ce décret qui, en principe, devait entrer en application le 1er janvier 1871, n’a pas encore pu être mis en œuvre en raison de la guerre et du siège de la capitale. Aucune équipe centrale n’a encore été constituée et, dans un tel contexte, il est inimaginable de songer à faire venir la guillotine et l’exécuteur de la cour d’appel de Paris.
C’est donc à l’ancien exécuteur de Bordeaux, Charles-Henri Desmorest, que le ministère de la justice demande de procéder à l’exécution. Il se fera assister par trois adjoints venus des départements voisins.
Le 4 février, à 19h40, le préfet de la Dordogne adresse une dépêche au garde des sceaux pour tenter de reporter l’exécution : « Ne pourrait-on surseoir à l’exécution d’Hautefaye ? N’y aura-t-il donc aucune grâce.» (5). Sans réponse, il expédie une nouvelle demande à 20h20 : « Il est nécessaire de surseoir à l’exécution d’Hautefaye qui aurait en ce moment le caractère d’une exécution politique.» (6) En retour, on lui télégraphie que le garde des sceaux est parti depuis la veille au soir pour Paris; en son absence, ses deux dépêches ont été communiquées à Léon Gambetta, lequel a répondu que « le conseil a délibéré et que l’exécution doit avoir lieu sans aucune grâce et sans aucun sursis.»
Le lendemain, à huit heures du soir, Charles Desmorest est à la prison de Périgueux où il vient prendre possession des quatre condamnés. Un omnibus les attend dans la cour intérieure. Les prisonniers s’y installent, suivis par deux prêtres et par l’exécuteur. Une escorte de gendarmes à cheval les accompagne. Il faudra plusieurs heures pour parcourir la distance entre Périgueux et Hautefaye, estimée à 57 kilomètres. A minuit, on relaye une première fois à Brantôme puis, trois heures plus tard, à Mareuil.
Le 6 février, à cinq heures, le cortège arrive enfin à destination. La guillotine a été dressée devant la halle du village. Un détachement de deux-cents hommes d’infanterie, arrivé la veille, a été chargé d’assurer la sécurité. C’est beaucoup pour l’assistance qui ne dépasse guère une centaine de personnes. Trois heures s’écoulent durant lesquelles les quatre condamnés, enfermés dans une chambre à proximité de l’échafaud, se prêtent aux derniers préparatifs. A 8h25, Léonard dit Piarrouty est exécuté, puis Buisson, Mazière et Chambord. A 8h30 les quatre exécuteurs viennent d’achever leur dernière exécution. (7)
Le jour même, à Bordeaux, l’avocat général Jorant rend compte au garde des sceaux : « Vous m’avez prescrit de faire exécuter immédiatement l’arrêt de condamnation. L’absence de l’exécuteur des hautes œuvres, la nécessité de prendre de nombreuses mesures destinées à concilier les droits de l’humanité avec les rigueurs extrêmes de la justice, la distance considérable qui existe entre Bordeaux et Hautefaye, ont exigé un certain délai pour l’accomplissement de vos ordres. On ne pouvait songer à faire procéder à l’exécution le dimanche. J’ai indiqué le lundi 6 février, à la première heure du jour. Une dépêche télégraphique m’apprend que les 4 condamnés ont cessé de vivre, ce matin à 8h et demie. » (7)
Deux jours plus tard, les élections du 8 février amèneront une majorité monarchiste à l’assemblée et, le 17 février, Crémieux démissionnera de son poste de ministre de la justice.
(1) Jean Teulé, Mangez-le si vous voulez, Paris, Julliard, 2009.
(2) Archives Nationales, BB/24/2037, dossier : 6688 S70, pièce 2.
(3) idem, pièce 3.
(4) le décret est du 25 novembre 1870.
(5) Archives Nationales, BB/24/2037, dossier : 6688 S70, pièce 4.
(6) idem, pièce 5.
(7) L’Echo de la Dordogne, 7 février 1871.
(8) Archives Nationales, BB/24/2037, dossier : 6688 S70, pièce 7.
Je croyais, après avoir lu plusieurs commentaires sur l'affaire, que c'était Nicolas Roch, adjoint du bourreau en chef de Paris, qui avait dirigé les exécutions.
RépondreSupprimerCe n'est pas Nicolas Roch mais bien Charles-Henri Desmorest, ancien exécuteur de Bordeaux, plus près des lieux de l'exécution, qui en a été chargé. C'est son nom qui est cité dans les documents officiels, aux Archives Nationales.
SupprimerSur Wikipédia, il y a ds ce cas-là une erreur car le bourreau inscrit est nicolas roch
SupprimerJe confirme la réponse au commentaire précédent. L'information publiée sur Wikipédia est évidemment erronée.
SupprimerDans le livre de Georges Marbeck,Hautefaye,l'année terrible,il est aussi question de Nicolas Roch,comme bourreau .je conseille d'ailleurs cet excellent ouvrage qui relate de façon exhaustive,ce drame d'Hautefaye.
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