9 juin 2009

Un témoignage sur Charles-Henry Sanson

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Le "Journal de ma vie" (1) du vitrier parisien Jacques-Louis Ménétra est une source inépuisable et passionnante pour connaître, au quotidien, la vie dans la capitale dans la seconde moitié du XVIIIème siècle. Nous ne remercierons jamais assez l'historien Daniel Roche, professeur au Collège de France, pour avoir découvert, publié et analysé ce précieux manuscrit, conservé aujourd'hui à la Bibliothèque Historique de la ville de Paris.
Dès 1764 et jusqu'en 1803, Jacques-Louis Ménétra a consigné de nombreuses anecdotes sur sa vie familiale et professionnelle, ses rencontres, ses voyages, dans un document intime dont l'authenticité est indiscutable. Témoignage précieux pour mieux connaître celui qu'il appelle "Henri", autrement dit Charles-Henry Sanson, bourreau de Paris, que cet artisan a eu l'occasion de côtoyer régulièrement. Le plus souvent, c'est surtout dans ses pratiques médicales que notre compagnon vitrier a pu l'observer. Cependant, il a aussi été témoin, par hasard, d'une "exécution secrète" que nous évoquerons dans un prochain article.

" Je tombe malade. L'on me traite pour une maladie de nerfs. Je suis impotent de tout mon corps, je ne fais qu'un cri lorsque je suis obligé de remuer. L'on m'ordonne des bains. Je ne vois aucune amélioration à ma position. J'apprends que le maître des hautes œuvres a une chambre près de la boutique (2), qu'il guérit ces sortes de maladies. Je me fais asseoir à la porte et j'attends pour le voir passer. Je l'appelle. Je lui fais connaître ma situation. Il me dit qu'il va m'apporter ce qui me convient. Je l'attends comme l'on dit que les juifs attendent le Messie, lorsque tout à coup j'entends crier un arrêt de la cour du parlement qui condamne deux chaudronniers, pour avoir assassiné leur camarade, à être fait mourir. Je vis que mon chirurgien était allé à ceux qui étaient moins malades que moi leur rendre une visite à l'encontre de leur volonté. Le lendemain, il arriva en me disant qu'il a été fâché, que des affaires imprévues l'ont empêché (et) me recommande très exactement de prendre et de faire ce qu'il m'ordonne, de manger, de ne point prendre de bain et en une quinzaine me voilà sur pied.
Cet homme s'intéresse envers moi. Son état à part, c'est un homme doux, aimable, bienfaisant. Un matin passant par le devant de la boutique, un chef de bureau m'apporta pour encadrer une estampe représentant la mort d'Abel. Il l'examine, il trouve un défaut dans le bras, le fait connaître avec toute l'honnêteté possible. La personne en est enchantée, m'offre une bouteille de vin sur les conditions qu'il en prendra sa part. Je l'engage. Il remercie poliment. La personne l'invite. Il vient. En nous en allant, il me demande si j'ai dit ce qu'il était. Je lui dis qu'il n'est nullement nécessaire. L'on est enchanté de sa conversation. Il s'en va le premier et paie la dépense. La personne ne cesse de faire ses louanges; lorsque je lui demande s'il sait avec quel homme il a bu, lorsque je lui annonce, je vois un homme changer de couleur et de dire : Est-il possible ? Je vois bien qu'il s'y connaît, car il nous a bien démontré les défauts de l'estampe." (3)

(1) Journal de ma vie. Jacques-Louis Ménétra, compagnon vitrier au XVIIIe siècle (présenté par Daniel Roche), Paris, Montalba, 1982, 431 p. Nouvelle édition : Paris, A. Michel, 1998, 429 p.
(2) Il loue une chambre dans le quartier du marais, rue Pavée, près de la boutique de Ménétra.
(3) Nous avons utilisé l'édition de 1982 (pp 216-217) en ajoutant les ponctuations qui manquent dans l'œuvre originale.
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