Dans l’édition du Petit Parisien du vendredi 23 janvier 1880, en page trois, sous le titre Querelle de famille, on pouvait lire ce communiqué :
« Nous recevons la lettre suivante, que nous reproduisons textuellement :
Paris, ce 21 janvier 1880
Citoyen Rédacteur,M. Berger, aide-exécuteur de première classe et gendre de M. Roch, ex exécuteur décédé, me prie de vous demander, ne pouvant le faire en son nom personnel, que vous adressiez par la voie de votre journal, pourquoi M. Deibler, exécuteur, n’a pas prévenu M. Berger, son aide de première classe de l’exécution de Prévost.
Pourquoi et de quel droit n’a-t-il pas été prévenu, par conséquent n’a pu y assister, contrairement à ce qu’ont annoncé divers journaux qui ont cité son nom plusieurs fois. M. Roch fils, aide de troisième classe, n’a pas été prévenu non plus.
De quoi cela dépend-il ? Est-ce jalousie ?
Enfin, citoyen, comptant sur vous pour adresser cette question à qui de droit, et cela dans les termes qui conviendront.
L.C. »
Amusé, le journal s’était contenté d’ajouter en guise de commentaire : Décidément, voilà des gens qui sont à couperet tiré !
On ignore qui est ce mystérieux L.C. qui signe cette lettre. Par contre, Berger (1) est bien à cette époque adjoint de première classe à l’exécuteur en chef, Louis Deibler. En dépit des multiples informations plus ou moins fantaisistes que la presse de cette fin du XIXème siècle aimait à colporter sur le bourreau et ses aides, l’article paraît authentique.
Pour les connaisseurs de la vie judiciaire d’alors, la rivalité entre Berger et Deibler n’était pas une surprise. Elle remontait au printemps 1879, époque à laquelle le ministère de la justice avait désigné Louis Deibler pour succéder à Nicolas Roch, exécuteur en chef, qui venait de décéder. Contre toute attente, alors que la logique aurait voulu qu’Alphonse Léon Berger, gendre du défunt, soit nommé à sa place, on lui avait préféré un autre adjoint, Louis Deibler, encore totalement inconnu. En guise de consolation, Berger avait été promu adjoint de première classe le 4 juillet suivant.
Dans ces conditions, il est évident que l’entente entre les deux hommes était loin d’être parfaite. Nonobstant, Berger fut choisi pour accompagner Deibler lors des deux premières exécutions que celui-ci fit en qualité d’exécuteur en chef. La première eut lieu à Agen (Lot-et-Garonne) le 19 mai 1879 (exécution de Jean Laprade) et la seconde à Saint-Rambert (Loire) le 10 septembre 1879 (exécution de Jean Chambes). Par contre, lorsqu’il fut question d’aller exécuter Théotime Prunier, à Beauvais (Oise), le 13 novembre 1879, Deibler préféra se faire accompagner par Charles Ganié, Edouard Desfourneaux et Adolphe Deville (2).
Le lundi 19 janvier 1880, la première prestation parisienne du nouvel exécuteur fut un événement suivi par toute la presse nationale. Le condamné était un ancien militaire nommé Victor Prévost. Ce jour là, comme à Beauvais, Deibler ne fit pas appel à Berger qui, si l’on en croit l’article cité plus haut, ne fut même pas prévenu. On comprend qu’il en ait conçu du dépit. Ce qui est certain, c’est que ce petit billet ne semble pas avoir favorisé le réchauffement des relations entre Monsieur de Paris et son adjoint. Pendant les vingt dernières années de sa carrière Alphonse Berger ne fut plus jamais convoqué pour participer aux exécutions effectuées hors de Paris et les Deibler, père et fils, ne manquèrent jamais l’occasion de signaler à l’administration son « manque de sérieux ».
(1) Alphonse-Léon Berger (1841-1906) fils de Pierre-Martin, bourreau de Perpignan, et de Marie-Eléonore Vermeille. Marié, en 1867, avec Virginie Desmorest, fille du bourreau de Carpentras et remarié, en 1875, avec Olympe-Marie Roch, fille de Nicolas, exécuteur en chef des arrêts criminels.
(2) Adolphe-Désiré Deville nommé adjoint de 2e classe à Paris, le 4 juillet 1879, était un ami de Louis Deibler, avec qui il avait été adjoint en Algérie.
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