10 juin 2009

Une exécution secrète


Dans le journal de ma vie de Jacques-Louis Ménétra, déjà évoqué précédemment (1), figure le récit saisissant d'une exécution clandestine. Officielle ? Officieuse ? Nous n'en saurons pas plus. Les nombreux ouvrages et archives que nous avons pu consulter, où on traite de l'exécution des peines, ne mentionnent nulle part la possibilité d'une mise à mort aussi expéditive que discrète. Cette façon d'appliquer une sentence paraît peu conforme au droit. On pourrait douter de la réalité d'une pareille scène, mais la sincérité du mémorialiste et les liens amicaux qui l'unissaient à Charles-Henry Sanson nous en garantissent l'authenticité. Tout comme ce témoin involontaire, on peut en être troublé.

" Un jour, le maître des hautes œuvres me dit de venir lui tenir compagnie comme je le faisais quelquefois. Nous bûmes ensemble un couple de bouteilles de vin. Je le voyais pensif. Je lui demande ce qu'il y a. II me répond qu'il voudrait que la soirée fût passée. Je le presse. Il me dit qu'à dix heures du soir il a une opération à faire au Petit Châtelet. Je lui dis si je puis le voir. II me dit de le demander. Je vais souper avec ma raccommodeuse de dentelles et de là j'arrive au Petit Châtelet. Je frappe. L'on m'ouvre; je demande M. Henri. L'on me répond que je l'attende. Il arrive, jette trois livres sur la table. Un guichetier apporte six bouteilles et nous voici à boire tous ensemble et tenir des propos joyeux lorsque, tout à coup, à une porte que je n'avais pas aperçue l'on frappe. Le plus grand silence règne. Tout à coup, je vois sortir trois hommes dont un en noir. L'on dit "Voilà Monsieur…" Je n'ai pu retenir le nom. Henri s'en saisit, le pousse contre le mur (vers) un petit escabeau et le malheureux, se sentant poussé, met les pieds dessus. A l'instant un crochet, et dessous un chapeau, et mon homme à l'instant est suspendu. Henri ayant donné un coup de pied à l'escabeau, sitôt son frère le prend par les parties nobles et la scène est finie. Henri se sauve et je ne puis revenir de ce que je viens de voir. Je sors. Je vois que l'on met le malheureux dans une brouette et je n'ai pas la force d'en voir davantage." (2)

(1) voir article du 9 juin 2009 : Un témoignage sur Charles-Henry Sanson.
(2) Journal de ma vie. Jacques-Louis Ménétra, compagnon vitrier au XVIIIe siècle (présenté par Daniel Roche), Paris, Montalba, 1982, p. 255.

1 commentaire:

  1. Bizarre, en effet.

    S'il s'était agi d'une exécution "du fait du prince", c'est-à dire sans passer par la voie judiciaire, elle se serait faite sans le bourreau. Il y a tellement de moyen d'éliminer une personne discrètement...

    Si les faits sont avérés, je trouve plus que louche cette mise en scène.


    Carnifex.

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