Aide-exécuteur et fils d’exécuteur, Delphin Beynet n’aurait sans doute jamais attiré notre attention si, en 1833, il n’avait été poursuivi pour port illégal de décoration. A la lecture du compte rendu de son procès on découvre un personnage atypique, élégant, désinvolte, mêlant humour et ironie, très loin de l’image du bourreau patibulaire et inculte que la littérature du XIXe siècle a largement popularisée.
Aîné d’une famille de trois enfants, Louis Marie Delphin Benoist dit Beynet est né le 10 décembre 1806 à Poitiers. Son père, Joseph Martin Benoist qui préférait se faire appeler Beynet (1), avait été temporairement bourreau de Brive avant la révolution, étudiant à Chalon sur Saône, puis successivement aide exécuteur à Cahors, Gap, Limoges, Auxerre, avant d’être nommé bourreau de Poitiers en 1806. Marié à Marie-Eugénie Berthelot, fille d’un aide-exécuteur qui était aussi vigneron, Joseph-Martin Beynet mourut prématurément dans sa maison du château d’Auxances (2), le 16 mai 1811. Cinq ans plus tard, sa veuve se remaria avec Louis-François-Gabriel Deville, exécuteur de Périgueux de 1827-1837, à qui elle donna trois autres enfants.
Delphin Beynet n’eut apparemment pas d’autre choix que de poursuivre la carrière familiale. Dès l’âge de douze ans, on le retrouve comme aide exécuteur à Poitiers, sous les ordres de Pierre-Nicolas Berthelot, son oncle maternel. Quelques années plus tard, il devient l’adjoint de son beau-père, Louis-François Deville, bourreau de Périgueux. C’est dans cette ville, en 1833, qu’il est jugé pour avoir arboré irrégulièrement la « croix de juillet ». Voici le compte-rendu de son procès (3) :
« Delphin Beynet, aide-exécuteur des arrêts criminels à Périgueux, a comparu devant le tribunal correctionnel de cette ville, comme prévenu d'avoir porté la croix de juillet sans autorisation. Le prévenu est âgé de vingt-cinq ans; il porte un pantalon blanc et un habit bleu à boutons de métal; sa cravate mise artistement; sa mise, sa pose et ses manières sont celles de nos fashionables outrés, il s'énonce avec facilité.
M. le président : Comment vous appelez-vous ?
R. : Delphin Beynet.
D. : Quelle est votre profession ?
R. : Artiste dramatique. (Mouvement dans l’assemblée)
Le président : Vous êtes prévenu d'avoir indûment porté la décoration de juillet ?
R. : Le fait est vrai, M. le président mais je vais vous expliquer par quelle circonstance. Je jouais le mélodrame à la Porte Saint-Martin; ayant été chargé d'un rôle dans lequel je figurais avec une décoration de juillet, j'ai oublié de l’enlever de mon habit. Voila pourquoi, M. le président, on m'a vu dans les rues de Périgueux, porteur de cette décoration.
M. Delisle, procureur du Roi : Cette version, Monsieur, est assez bien imaginée; mais elle est d'autant plus extraordinaire dans votre bouche qu'elle est entièrement en opposition avec les réponses que vous avez faites à M. le commissaire de police qui a verbalisé contre vous. Vous lui avez répondu, en effet, que vous aviez été autorisé verbalement par le ministre, à porter cette décoration, et cela, le 16 août 1830, époque à laquelle elle n'existait pas.
Beynet : Je n'ai point répondu cela
M. le substitut : Mais, Monsieur, j'ai dans les mains une lettre écrite par vous à M. le garde-des-sceaux, pour réclamer contre les poursuites dont vous êtes l'objet, dans laquelle; vous vous appuyez de la même autorisation verbale, et demandez un titre définitif.
Beynet : On a peut-être contrefait ma signature.
M. le substitut : Voyez vous-même la pièce.
Beynet (regardant la signature) : Sur l'honneur, c'est la mienne !
M. le substitut : Vous reconnaissez donc que vous êtes en pleine contradiction avec vous-même ?
Beynet : Plus de détours, Messieurs. La décoration de la légion d'Honneur était « ensanglantée », celle de juillet est pure, c'est celle des « républicains ». Républicain moi-même, j'ai cru pouvoir m'en parer !...
Ici, M. le procureur du Roi ne peut plus contenir son indignation. Il s'élève avec force contre le prévenu, qui, non content d'avoir profané une décoration, prix du sang et du courage, insulte encore à la société par son audace et son effronterie. Il lui demande comment, placé au dernier degré de l'échelle sociale par le ministère qu'il exerce à Périgueux même, il ne se condamne pas à l'obscurité et à l'oubli, plutôt que de chercher à attirer sur lui les regards par ses actes, par le luxe et le faste de sa toilette. « Vous devriez, lui dit-il, tâcher de faire oublier, par l'humilité de votre conduite, que vous êtes le valet de bourreau. »
Beynet se lève avec vivacité pour répondre.
M. le substitut, après lui avoir dit de se rasseoir et lui avoir fait observer qu’il n'avait point encore la parole, poursuit son réquisitoire, et conclut à ce que te tribunal le condamne au « maximum » de la peine.
M. le président : Beynet, avez-vous quelque chose à ajouter à votre défense ?
Beynet : Non, Monsieur; qu'on m'applique la loi !
Après quelques minutes de délibération, le tribunal condamne Beynet à un an de prison.
Beynet : Quel délai m'accorde-t-on pour me constituer prisonnier ?
M. le président : On ne vous en fixe point; mais vous ferez bien d'exécuter votre jugement le plus tôt possible.
Beynet sort de la salle, sans que le mécontentement soit peint sur sa figure. Arrivé au milieu de l'escalier, il en saute les degrés avec l'agilité d'un danseur, puis sort en fredonnant :
Tous les rois sont des tyrans,
Philippe a trahi ses sermens.
Vive la république ! »
M. le président : Comment vous appelez-vous ?
R. : Delphin Beynet.
D. : Quelle est votre profession ?
R. : Artiste dramatique. (Mouvement dans l’assemblée)
Le président : Vous êtes prévenu d'avoir indûment porté la décoration de juillet ?
R. : Le fait est vrai, M. le président mais je vais vous expliquer par quelle circonstance. Je jouais le mélodrame à la Porte Saint-Martin; ayant été chargé d'un rôle dans lequel je figurais avec une décoration de juillet, j'ai oublié de l’enlever de mon habit. Voila pourquoi, M. le président, on m'a vu dans les rues de Périgueux, porteur de cette décoration.
M. Delisle, procureur du Roi : Cette version, Monsieur, est assez bien imaginée; mais elle est d'autant plus extraordinaire dans votre bouche qu'elle est entièrement en opposition avec les réponses que vous avez faites à M. le commissaire de police qui a verbalisé contre vous. Vous lui avez répondu, en effet, que vous aviez été autorisé verbalement par le ministre, à porter cette décoration, et cela, le 16 août 1830, époque à laquelle elle n'existait pas.
Beynet : Je n'ai point répondu cela
M. le substitut : Mais, Monsieur, j'ai dans les mains une lettre écrite par vous à M. le garde-des-sceaux, pour réclamer contre les poursuites dont vous êtes l'objet, dans laquelle; vous vous appuyez de la même autorisation verbale, et demandez un titre définitif.
Beynet : On a peut-être contrefait ma signature.
M. le substitut : Voyez vous-même la pièce.
Beynet (regardant la signature) : Sur l'honneur, c'est la mienne !
M. le substitut : Vous reconnaissez donc que vous êtes en pleine contradiction avec vous-même ?
Beynet : Plus de détours, Messieurs. La décoration de la légion d'Honneur était « ensanglantée », celle de juillet est pure, c'est celle des « républicains ». Républicain moi-même, j'ai cru pouvoir m'en parer !...
Ici, M. le procureur du Roi ne peut plus contenir son indignation. Il s'élève avec force contre le prévenu, qui, non content d'avoir profané une décoration, prix du sang et du courage, insulte encore à la société par son audace et son effronterie. Il lui demande comment, placé au dernier degré de l'échelle sociale par le ministère qu'il exerce à Périgueux même, il ne se condamne pas à l'obscurité et à l'oubli, plutôt que de chercher à attirer sur lui les regards par ses actes, par le luxe et le faste de sa toilette. « Vous devriez, lui dit-il, tâcher de faire oublier, par l'humilité de votre conduite, que vous êtes le valet de bourreau. »
Beynet se lève avec vivacité pour répondre.
M. le substitut, après lui avoir dit de se rasseoir et lui avoir fait observer qu’il n'avait point encore la parole, poursuit son réquisitoire, et conclut à ce que te tribunal le condamne au « maximum » de la peine.
M. le président : Beynet, avez-vous quelque chose à ajouter à votre défense ?
Beynet : Non, Monsieur; qu'on m'applique la loi !
Après quelques minutes de délibération, le tribunal condamne Beynet à un an de prison.
Beynet : Quel délai m'accorde-t-on pour me constituer prisonnier ?
M. le président : On ne vous en fixe point; mais vous ferez bien d'exécuter votre jugement le plus tôt possible.
Beynet sort de la salle, sans que le mécontentement soit peint sur sa figure. Arrivé au milieu de l'escalier, il en saute les degrés avec l'agilité d'un danseur, puis sort en fredonnant :
Tous les rois sont des tyrans,
Philippe a trahi ses sermens.
Vive la république ! »
Delphin Beynet a-t-il purgé sa peine ? Nous n’en avons aucune preuve. Toujours est-il qu’il disparaît pendant plusieurs années après cette affaire. Il réapparaît à Paris, en 1842, comme aide d’Henry Clément Sanson. Deux ans plus tard, il est nommé bourreau d’Evreux, en remplacement d’Armand Leroy. Mais pour un motif que nous ignorons il est très vite remplacé, dans ces fonctions, par Raymond Peyrussan. Michel Demorest, qui lui a consacré une petite notice, conclut celle-ci par une phrase énigmatique : « De retour dans la capitale, il perdit le morceau de Paris qu'il tenait, par la méchanceté de Sanson avec qui il ne voulait pas partager les sales passions (1847). » (4)
On perd ensuite définitivement sa trace.
(1) Il se disait fils de François Beynet, bourreau de Brive.
(2) Migné-Auxances, au Nord de Poitiers, dans la Vienne.
(3) Journal des débats du 5 septembre 1833.
(4) Michel et Danielle Demorest, Dictionnaire Historique et Anecdotique des Bourreaux, Maisons-Alfort, 1996, p. 24.
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