Dans son journal, Claude Haton, curé de Mériot en Brie champenoise, relate une exécution particulièrement mouvementée dont il fut témoin oculaire (1). Les faits se sont déroulés à Provins, en avril 1571. A cette époque, on avait arrêté un gentilhomme protestant nommé de Sérelle, âgé d’une trentaine d’années, demeurant au village de Flaix-lez-Provins (2). L’homme était soupçonné de nombreux crimes et brigandages, commis notamment au cours des dernières guerres civiles. A l’issue d’un procès où il fut poursuivi, entre autres, pour avoir violé une jeune fille des environs d’Epernay, le bailli et les conseillers présidiaux le condamnèrent à mort. La sentence précisait qu’il serait décapité sur un échafaud dressé devant la fontaine Saint-Ayoul, à Provins, et qu’ensuite sa tête serait attachée à une potence et son corps suspendu à un arbre. Quand le lieutenant du prévôt des maréchaux vint l’informer du jugement, Sérelle cru qu’il lui serait encore possible de faire appel. L’officier lui répondit que la condamnation était immédiatement exécutoire. On lui accorda un cordelier pour l’assister et le bourreau fut requis de faire promptement son office. Mais l’exécuteur de Provins, nommé Robert Sénécart, était loin d’être un grand professionnel. Au cours de sa carrière, s’il avait bien pendu quelques condamnés – toujours à contre cœur – il n’avait jamais procédé, par contre, à une décapitation.
« Estant arrivé au lieu de son suplice, et voyant le préparatif de sa mort et le peuple en grand nombre pour le veoir, ne se espouventa que par raison, et ayant la parolle à délivre, par diverses fois et mesmement à la prononciation du dicton de sa sentence, se pourta pour appellant, espérant qu'encores seroit-il receu en appel; mais, quand il entendit ledit lieutenant luy dire qu'il perdoit temps d'appeller, et qu'il ne seroit receu, par le conseil dudit religieux se disposa à la mort, criant mercy à Dieu de ses forfaictz. A la façon de tous les pendars qu'on exécute, il dist qu'on luy faisoit grand tort, et qu'il n'avoit faict aucun mal qui méritast telle mort ni aultre, qu'estant jugé à icelle, il la prenoit en gré pour l'honneur de Dieu, et que ung coup d'espée seroit tost passé. Il pria Dieu et dist le Pater noster avec le Credo in Deum patrem et credo in Spiritam sanctum, en vulgaire françoys, tel qu'il l'avoit aprins au cathéchisme des huguenotz, et ne fit aultre prière, sinon qu'il requist Dieu avoir mercy de luy et de luy donner paradis. Il se laissa pacienment lier à une membreuse (3), qui passoit par entre deux planches sur les eschaufaux la hauteur de deux à trois piedz et que le bourreau avoit là posée pour luy servir à laditte exécution; et ne sçavoit celui-cy comment il s'y devoit comporter, car oncques n'avoit couppé teste à homme, et jugeoit bien de soy qu'il dextrement ne sçauroit coupper celle dudit patient. Après qu'il fut lyé et bousché, il tendoit le col fort proprement pour recevoir le coup d'espée qu'il pensoit luy emporter la teste de la première fois, ce qui ne fut faict à la troisiesme. Le bourreau, qui se nommoit Me Robert Senecart, en tremblant luy deslacheant le coup d'espée, ne l'en creva en chair l'espaisseur d'ung teston; et ne souffrit grand douleur de ce coup ledit patient, lequel demeura tousjours à genoux à prier Dieu sans se movoir. Le bourreau, ayant relevé son espée, en bailla ung second coup, non en la place du premier, ains sur l'os du derrier de la teste, pour lequel ne hoba encores ledit patient; il attendit le troisiesme coup, qui fut frappé en la place du premier, et qui ne l'offensa guères plus que devant, sinon que ledit bourreau, n'osant plus relever son espée pour frapper ung quatriesme coup, s'entretint de siraillier la teste d'iceluy, pour tascher à la luy abatre de dessus les espaules. Et, en siraillant, fit tomber son patient sur les échaufaux et tourner de travers la membreuse où il estoit lié, au moyen de quoy le patient et laditte membreuse quittèrent l'ung l'autre; ce que bien sentant, ledit patient se releva sur ses deux pieds, ayant tousjours les yeux bandez avec ses mains liées, se jetta au bourreau, qu'il print avec ses mains liées par les habillemens, et le bransla et le secueillit-il si vivement, qu'il fit quitter l'espée audit bourreau, qui se trouva si espoventé, tant pour veoir le patient le tenir au corps, que pour la clameur du peuple qui crioit après luy, qu'il ne savoit où se mettre. Le patient toutesfois, ayant quitté ledit bourreau, tout bousché qu'il estoit, print la fuitte et se jetta par terre hors des eschaufaux, qui estoient de quatre piedz de haulteur pour le moings, et se feust saulvé parmy les gens qui luy eussent volu ayder, s'il eust veu clair; mais, faulte d'estre desbouché par les yeux, tomba tout plat de dessus lesditz eschaufaux et se blessa plus fort que ne l'avoient blessé les trois coups d'espée. Sur lequel descendit le bourreau, qui le trouva jà relevé sur ses deux piedz pour penser fuyr, et ayant remis la main à luy, se chapignèrent l'ung l'aultre. Toutesfois, le bourreau en demeura le maistre; car l'ayant rué par terre se jetta sur luy, et avec ung cousteau luy couppa la gorge, comme les bouchers font aux moutons ou veaux qu'ilz tuent, et, ce faict, en la place sur le carreau luy acheva de coupper la teste avec ledit cousteau, qu'il reporta sur les eschaufaux, ayant laissé le corps dessoubz. Et en ceste façon finit ses jours le pauvre misérable Sérelle. A Dieu plaise que ce soit au salut de son âme ! Toutes personnes et moy aussi qui manièrent l'espée du bourreau jugèrent que oncques ledit bourreau n'en sçauroit faire l'exécution, d'aultant qu'elle estoit trop légère et n'avoit pesanteur pour faire ce coup. Ledit bourreau fut tant batu du peuple qui estoit près de luy et du patient quand ilz furent au bas des eschaufaux, que oncques depuis n'eut santé, non pour les coups qu'il receut, mais du regret qu'il print de s'estre mis à cest estat, auquel il n'estoit aucunement propre, car il estoit pitoyable et mary de desfaire son semblable, et luy ai ouy dire plusieurs fois qu'il eust esté contens que la terre l'eust euglouty quand il falloit qu'il pendist quelqu'un; il morut quelque trois moys après. »
Après la mort de Robert Sénécart, on fit appel à un exécuteur originaire de Normandie, nommé Pierre Ledoux, pour reprendre l’office de bourreau de Provins.
(1) Mémoires de Claude Haton, contenant le récit des événements accomplis de 1553 à 1582, principalement dans la Champagne et la Brie (publiés par Félix Bourquelot), Paris, Imprimerie Impériale, 1857, tome 1, pp. 644-646.
(2) Aujourd’hui commune de Villiers-Saint-Georges, en Seine-et-Marne.
(3) poutre ? billot ?
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