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En 1768, l'écrivain écossais James Boswell (1740-1795) effectue un voyage en Corse où il rencontre le général en chef Pascal Paoli et avec lequel il se lie d'amitié. En même temps, il entreprend la rédaction d'une étude du pays, décrivant les mœurs de ses habitants, ses paysages, ses institutions politiques, son agriculture, son artisanat. Travail qu'il publiera à son retour en Grande-Bretagne, aussitôt traduit en français, et qui connaîtra un grand succès.L'Etat de la Corse (1) consacre deux pages au seul bourreau qu'abritait l'île. L'auteur a pu le rencontrer à la citadelle de Corte où il vivait quasiment reclus :
"Le Bourreau de Corse est une vraye curiosité (2). Il est si fort en horreur qu'il ne peut vivre comme un autre habitant de l'Isle. Il est obligé de se réfugier au Château dans une petite tour du coin, où à peine il a place pour un misérable lit, &,un petit feu pour aprèter lui-même les vivres qui lui sont nécessaires pour ne pas mourir de faim, car personne ne voudroit, à aucun prix, avoir affaire avec lui. Je montai pour le voir, mais jamais spectacle plus affreux & plus dégoûtant n'avait frappé mes yeux. Il paraissait sensible à sa situation, & baissait la tête comme un homme qui sait qu'il est un objet d'horreur & d'abomination.
On avait été longtems en Corse sans pouvoir trouver de bourreau, aussi le suplice de la potence y était à peine connu. Tous les criminels étaient passés par les armes. A la fin, la malheureuse créature que je vis, Sicilien de naissance, se présente avec un message pour Paoli. Le Général qui a un talent surprenant pour juger les physionomies, dit d'abord en le voyant, à ceux qui étaient autour de lui, "ecco il boya" (voilà le bourreau). Il donna ordre de demander à cet homme, s'il voulait en faire l'office, & sa réponse fut: "mon grand père a été bourreau, mon père a été bourreau, j'ai moi-même été bourreau, & je continuerai volontiers à l'être". On le revêtit sur le champ de sa charge, & une seule mort ignominieuse infligée par ses mains, fit plus d'effet que vingt exécutions par les armes à feu. Il est remarquable qu'aucun Corse ne voudrait, à quel prix que ce fut, consentir à être bourreau. Les plus grands criminels ne rachèteraient pas leur vie à cette condition. Le misérable, qu'un chétif salaire avait engagé à étrangler une femme innocente, n'aurait pas voulu racheter son suplice en consentant à faire la même action pour exécuter l'ordre de la loi. "
On avait été longtems en Corse sans pouvoir trouver de bourreau, aussi le suplice de la potence y était à peine connu. Tous les criminels étaient passés par les armes. A la fin, la malheureuse créature que je vis, Sicilien de naissance, se présente avec un message pour Paoli. Le Général qui a un talent surprenant pour juger les physionomies, dit d'abord en le voyant, à ceux qui étaient autour de lui, "ecco il boya" (voilà le bourreau). Il donna ordre de demander à cet homme, s'il voulait en faire l'office, & sa réponse fut: "mon grand père a été bourreau, mon père a été bourreau, j'ai moi-même été bourreau, & je continuerai volontiers à l'être". On le revêtit sur le champ de sa charge, & une seule mort ignominieuse infligée par ses mains, fit plus d'effet que vingt exécutions par les armes à feu. Il est remarquable qu'aucun Corse ne voudrait, à quel prix que ce fut, consentir à être bourreau. Les plus grands criminels ne rachèteraient pas leur vie à cette condition. Le misérable, qu'un chétif salaire avait engagé à étrangler une femme innocente, n'aurait pas voulu racheter son suplice en consentant à faire la même action pour exécuter l'ordre de la loi. "
(1) James Boswell, Etat de la Corse suivi d'un journal d'un voyage dans l'isle et des Mémoires de Pascal Paoli, A Londres, Tome II, 1769, pp. 190-193.
(2) Nous ignorons l'identité de cet homme, d'origine sicilienne.
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